Hippolyte Hentgen
Chambre rose, chambre grise
Si la formule deux salles/deux ambiances est à ce jour le meilleur compromis qu’ait trouvé la fête, il ne faudra pas s’attendre à un tel ménagement dans la galerie Sémiose, qui s’est offert pour la rentrée un relooking bi-goût afin d’accueillir le plus douillettement les humeurs contrastées mais bien assorties d’Hippolyte Hentgen. Du rose layette au gris pâle, cette enfilade de cabinets d’amateurs — une architecture d’intérieur aussi ingénieuse que celle qui procure un sentiment d’intimité dans les box des salons d’épilation — cartographie le vaste univers formel et référentiel de cet artiste aux quatre mains. Ne voyant plus beau modèle d’intégrité que celui de la pieuvre, vouant un culte à l’inconstance esthétique d’un Jim Shaw, d’un Paul Thek ou d’un René Magritte, il assume d’une même signature siamoise ces dessins coquettement graveleux (que l’on rêverait de voir dans le Journal des arts racheté par Fluide glacial), ces paysages noirs exprimant une sensibilité romantique véritable, ces gouaches sur photographies empruntes d’une mélancolie surréaliste, ou encore ces patchworks flamboyants en l’honneur de la chevalerie. Car Gaëlle Hippolyte et Lina Hentgen jurent par l’étonnement comme méthode pour «exciter l’intelligence», bien plus que du voyage initiatique, ce slalom se revendiquerait davantage du ballet (mécanique, bien sûr): le dessin dont tout l’art du duo procède, est ici pris dans le pressentiment d’une installation ou d’un décor de théâtre où elles officient par ailleurs.
Quel que soit le pitch — une pin-up recevant une fessée sadomaso devant deux cuistots nudistes ahuris, ou encore la visite de la galerie Gagosian par une famille d’extra-terrestres égarée d’une planche d’Edika — ce qui est mis en scène n’est rien d’autre que l’acte créateur, avec moult autoportraits et fortes mises en abîmes. Si la feuille restait le territoire préservé du deuil de l’auteur et de l’originalité, Hippolyte Hentgen a débarrassé cette vieille fille de sa virginité (et en plus, dans une partie à trois). Voilà l’appropriationnisme et l’art citationnel décoincés, pour ne pas dire libérés de la névrose conceptuelle, pour se pratiquer dans la joie conviviale de l’expérimentation quotidienne et la production frénétique. Le métabolisme robuste d’Hippolyte Hentgen est parvenu à fixer les vitamines de cette nourriture d’images et de mots restée sur l’estomac de sa génération, ainsi profite-t-il sans complexe et parfois sans y penser des enzymes disponibles dans une culture sans hiérarchie pour s’adonner à un postmodernisme jouissif. Cette tambouille historique à la saveur aigre-douce de l’innocence perdue et reconquise, convie au banquet ses amitiés artistiques: ici apparaissent les protagonistes de la galerie Sémiose, tandis que Jean-Luc Verna pause en faune symboliste dans la forêt de blanche-neige version Walt Disney. Témoins malgré eux, les nains de jardin à poil qui passaient là par hasard, qui avaient perdu leurs affects sur l’autoroute de l’intertextualité, en rougissent: le dessin a cessé de dire «je», mais on l’entend distinctement murumurer «nous».