En entrant on est happé dans un capharnaüm, tendance égyptomaniaque, revisité à l’aune de l’actualité. Profusion d’images découpées, d’extraits d’articles de presse, de copies d’œuvres d’art antique, Le Chalet de l’histoire perdue, par son titre énigmatique, annonce l’ambitieux projet presque encyclopédique développé ici par Hirschhorn.
« Pillage » : tel pourrait être le mot-clé pour appréhender cette œuvre complexe. A gauche de l’entrée, une vidéo montrant Samuel Joseph lisant son dernier roman, L’Amélioration, dont on retrouvera certaines phrases disséminées un peu partout dans la galerie sous forme écrite. Tel est le premier pillage. Ensuite, un ensemble de frigidaires et de ventilateurs, associés à des images de l’intervention américaine en Iraq et des vols de toutes sortes perpétrés au Musée d’Archéologie de Bagdad et dans la ville dévastée. Tel est le second pillage.
Par extension, se déploie tout un réseau d’éléments dont le paradigme serait l’archéologie, dans ce qu’elle a de plus noble et de plus sordide à la fois. Sur une table, des revues d’archéologie sont soigneusement disposées à côté d’une série de phallus en plastique. Un peu plus loin, une bibliothèque propose divers ouvrages sur l’Égypte antique ou inspirés par elle. Dans la seconde salle, un sarcophage vide ouvert en deux est exposé. Sur les parois internes sont collés des coupures de presse sur Saddam Hussein ainsi que les textes de la convention de l’Unesco sur la protection du patrimoine dans les pays en guerre. Sur les parois externes, des images pornographiques découpées que l’on peut regarder grâce à un jeu de miroirs posés au sol.
Ailleurs une table expose une multitudes d’objets-souvenirs égyptiens. Partout, des pyramides constituées de cannettes de bière, de paquets de cigarette, de parpaings… Plusieurs d’entre elles, recouvertes de scotch marron, fonctionnent en fait comme des maquettes qui montrent en coupe l’intérieur d’une pyramide.
Au fond du sous-sol qui prend des airs de crypte, un panneau montre une multitude de photographies prises par l’artiste représentant des pyramides qu’il a pu croiser lors de ses promenades parisiennes : celle du Louvre évidemment, mais aussi celles du cimetière du Père Lachaise.
A chaque élément est associé une légende, comme dans un musée. Mais ces légendes sont des extraits du texte de Manuel Joseph. Il s’agit parfois d’un mot, parfois d’une phrase, d’un paragraphe entier. Cette fragmentation de l’œuvre et sa dissémination dans l’espace empêche toute appréhension globale du texte original. De plus, les mêmes mots se trouvent souvent liés à des objets différents.
Cependant, de ce collage géant et à première vue anarchique naissent des associations d’idées, des connexions qui permettent au propos d’émerger. Ainsi une copie de stèle égyptienne brisée est reliée à l’expression « la cible à abattre », un autre objet cassé s’intitule L’éviction du temps.
Hirschhorn cultive l’art de la métonymie. Il n’y a pas de véritable hiérarchie des objets dans son oeuvre, puisque de toute façon tout y est plus ou moins factice, fait de matériaux modestes, de facture médiocre. Ce qui compte, ce sont les liens mis à jour entre des éléments de divers catégories. Ainsi une photo de stèle égyptienne prend valeur de stèle. D’ailleurs, ce lien entre tous les éléments de l’oeuvre est matérialisé par des guirlandes de scotch, sur lesquelles sont collés des séries faux billets de banque, qui se déploient et traversent la galerie de part en part.
Cette mise en espace d’une multitude de données et de documents divers et variés est une constante du travail d’Hirschhorn. Souvent ses sculptures, puisqu’il souhaite les nommer ainsi, ressemblent à une cartographie mentale où rien ne se donne à voir d’un coup. Le spectateur peut choisir de survoler l’œuvre ou bien d’approfondir les degrés de lecture. Mais dans cette mise en abyme de l’information, il est parfois difficile de comprendre où l’artiste veut en venir. La mise en évidence des procédés techniques, l’insistance sur l’idée de réseau, l’évocation d’une temporalité liée à la fabrication même de la sculpture, l’effort topographique, n’aident pas forcément le regardeur à saisir la pensée de l’artiste dans sa globalité.
Chalet Lost History raconte l’histoire d’une perte. Contrairement au roman de Manuel Joseph qui, finalement, résiste aux découpages de Hirschhorn, les œuvres mésopotamiennes et égyptiennes ont les racines arrachées. Ce sont donc aussi les histoires de l’histoire de l’art et du marché de l’art qui sont évoquées. Le fait que cela se passe dans une galerie a un sens. Les pillages d’œuvres, la fragmentation des cultures que provoque le système muséal est ici dénoncé. De même les propagandes politiques totalitaires de tout bord fractionnent les sociétés. Hirschhorn montre ce qu’il dénonce et il est vrai qu’il a souvent tendance à trouver matière dans la boîte de Pandore.
L’artiste a dit « la violence se partage qu’on le veuille ou non », ainsi la perte, le viol se partagent également et se digèrent dans l’imaginaire collectif.
Thomas Hirschhorn
— Chalet Lost History, 2003. Techniques mixtes. Dimensions variables.