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Cf.

Dans Le Destin des images (2003), Jacques Rancière explique que la pratique du montage «suppose l’existence d’un Magasin/Bibliothèque/Musée infini où tous les films, tous les textes, les photographies et les tableaux coexistent, et où tous sont décomposables». Cette image illustrant la conception postmoderne de la culture comme un vaste champ disponible au réemploi — quand «créer» est toujours «recréer» —, pourquoi ne pas y voir la caractérisation même de l’outil révolutionnaire qui a foncièrement redéfini nos méthodes de travail et notre appréhension du monde ?

Alors qu’Internet et ses moteurs de recherche ont multiplié la vitesse de propagation de l’image, donnant lieu à autant d’appropriations, emprunts, collages, détournements, l’esthétique n’est pas en reste pour tenter de définir et redéfinir le statut ontologique de «l’image à la puissance image». Ce fut le thème de la journée d’étude tenue à l’Université Rennes 2 (21 janv. 2010), émanant de la jeune revue scientifique 2.0.1.

En regard, l’exposition «Cf.» à la galerie Art & Essai réunit des artistes qui, nés dans le basculement numérique, actualisent l’usage de l’image dans sa forme la plus traditionnelle, du livre illustré au polaroïd; un matériel daté qui n’est pas sans évoquer une filiation revendiquée avec les pères conceptuels ou même surréalistes… Ainsi, ce parcours didactique questionne-t-il l’image à sa source, explore les facettes de sa «dé-définition», selon le terme d’Harold Rosenberg.

Quels sont ces pouvoirs de l’image qui lui valurent l’extradition par Platon? Elle est intimement liée au mot, donc à la pensée, comme l’illustrent les expériences mnémotechniques du prestidigitateur Benoît Rosemond, reprises ici par Aurélien Froment. Hypnotique, son pouvoir est aussi édifiant quand elle transfère le concept sur la feuille tentant d’imprimer sa logique sur le cerveau de son destinataire.
Ainsi les Plans distribués à Pierre-Olivier Arnaud à l’entrée de chaque musée ou foire sont-ils le premier signe d’un contrôle des subjectivités par les instances du monde de l’art.

L’image prétend-elle dire la vérité, ou même dire quelque chose? «L’image n’a pas d’origine» déclare l’artiste Eric Watier dans son allocution lors de la journée d’étude à Rennes.
A l’ère du simulacre, peut-elle encore renvoyer à un référent — question que suggère le titre de l’exposition? Projetés en boucle devant un banc public, les souvenirs de vacances collectés dans le fonds photographique documentation céline duval ne sont plus que les témoins de l’oubli (Horizons VI).
Dans la répétition et le déplacement du privé au public, l’image se vide de son contenu émotionnel: l’enfant ou la cousine germaine photographiés sur la plage deviennent les figurants d’un paysage qui radote, où la ligne d’horizon entre le ciel et la mer se déplace imperceptiblement au cours d’un siècle de photographie amateur.

Ce nivellement des identités dans la démonstration du banal par simple manipulation pointe les contours politiques de la question de l’image. Le corpus ou la reliure sont autant de systèmes de pensée qui dictent le sens de l’image, la fige, l’instrumentalisent. The Infinite Library ouvre de nouvelles possibilités de sens aux illustrations des livres dont elle sépare les cahiers pour les assembler avec d’autres. Dans leurs voisinages aléatoires, les images expérimentent leur puissance poétique.

Gagneraient-elles alors à s’échapper de la reliure, abandonner la légende? Les feuilles volantes intégrées dans les panneaux de medium de Mak Geffriaud (Herbier) sont rétives à tout cadre, toute classification, contredisant le titre de l’installation. Ces images sont disponibles à toutes les subjectivités, elles sont de pures surfaces de projection comme l’induisent les cadres lumineux vierges diffusés au verso par un appareil à diapositives: l’émancipation de l’image, sans auteur ni source donne naissance au lecteur comme producteur de sens, comme le théorisait Barthes dans «La mort de l’auteur».

Liste des Å“uvres
— Pierre-Olivier Arnaud, Plans, 200-2010. 112 feuilles A4, impression numérique sur papier.
— documentation céline duval, 3 temps en 4 mouvements (extrait), 2009. Tirage photo sur papier dos bleu. 120 x 176 cm.
— documentation céline duval, Horizons VI, 2009. Installation vidéo en boucle, 28’33’’.
— Aurélien Froment avec Abäke, Le Chiffre à la lettre : Alex Frost, Kaastoo Gallery, Los Angeles, 23 janvier 2009, 2009. Sérigraphie 80 x 125 cm, tirage jet d’encre 27,9 x 21,6 cm.
— Aurélien Froment avec Abäke, Le Chiffre à la lettre : Benoît Rosmemont, Clifford Irving Show, Ciné 13, Paris, 18 juin 2009, 2009. Sérigraphie 80 x 125 cm, tirage jet d’encre 27,9 x 21,6 cm.
— Aurélien Froment avec Abäke, Le Chiffre à la lettre : Johan Homlberg, Bonniers Konstkalle, Stockholm, 27 août 2009, 2009. Sérigraphie 80 x 125 cm, tirage jet d’encre 27,9 x 21,6 cm.
— Aurélien Froment avec Abäke, Le Chiffre à la lettre : Agathe Janneau, Galerie Art & Essai, Rennes, 6 janvier 2010, 2010. Sérigraphie 80 x 125 cm, tirage jet d’encre 27,9 x 21,6 cm.
— Aurélien Froment, En 1 j’ai un toit, 2009. Vidéo transférée su DVD, 7’.
— Mark Geffriaud, Herbier, 2009. Panneaux de bois, pages de livres, projecteur de diapositives.
— The Infinite Library, Book #1. Livres, reliure cuir.
— The Infinite Library, Book #8. Livres, reliure cuir.
— The Infinite Library, Book #11. Livres, reliure cuir.
— The Infinite Library, Book #12. Livres, reliure cuir.
— The Infinite Library, Book #6. Vidéo en boucle, 11’07’’.

Publications
— Jill Gasparina, Pierre-Olivier Arnaud, Editions Adera, Lyon, 2009.
— Revue 2.0.1, n°3, Pratiques de l’image, novembre 2009.

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