Emmanuelle Lainé, Claire Malrieux, Simon Nicaise, Lola Reboud, François-Thibaut Pencenat, Lili Reynaud-Dewar, Maxime Thieffine, Katarina Sevic
Cet objet vous va si bien
Ainsi la célèbre «Potétosophie» de Sigmar Polke pour qui une pomme de terre est égale à un artiste. Selon lui, elle représente tout ce que la critique et la théorie de l’art peuvent attendre de l’innovation. Le développement de ces aspérités en surface fait des pommes de terre des «objets» uniques qui pourraient être à l’origine de la créativité.
Cette fascination a presque fait école puisque Jason Rhoades et Matthew Barney se sont, eux aussi, penchés sur la question de cette dernière comme objet vecteur de la création. L’essentiel de la création artistique réside-t-elle dans notre projection sur les objets?
Bruno Latour, dans Le culte moderne des dieux Faitiches, décortique la relation entre l’artiste et sa création, entre l’objet et son créateur. Derrière l’objet d’art se cache l’intention de celui qui l’invente. L’objet peut par la suite devenir autonome ou encore accueillir de nouvelles identités: «Il a fabriqué l’idole de ses mains avec son propre travail humain et ses propres forces humaines mais il attribue ce travail, et ses forces à l’objet même qu’il a fabriqué.»
«Cet objet vous va si bien» propose un échantillonnage de nouveaux fétiches, exprime la création d’une trame cognitive commune à tous les objets (qu’ils soient utilitaires, décoratifs, artistiques, archéologiques) et expose la question du contexte de production artistique.
Si nous partons du postulat que tout est objet, que ce dernier existe dans un réseau de relations, qu’il cohabite et dialogue avec d’autres, «Cet objet vous va si bien» est une exposition à explorer, à pratiquer, à la manière d’un archéologue étudiant le présent.
Chaque artiste invité propose sa propre perception de la création et questionne la production artistique à travers l’objet. Chacun d’eux entretient un rapport spécifique avec l’objet que nous renvoie leur œuvre. Si nous considérons l’objet comme marqueur de société, cela confère-t-il aux œuvres produites une valeur temporelle et contextuelle spécifique à notre époque et géolocalisation?
Maxime Thieffine manipule les objets, se joue des codes de bienséance qu’imposent les catégorisations classiques. Il compare l’incomparable. Par des «sympathies» ou «antipathies» formelles, il crée de nouvelles familles en travestissant l’objet. Il ne rajoute pas au monde mais le transforme et le révèle en mettant en exergue des univers insoupçonnés pouvant dérouter nos repères classiques aux objets.
L’homme et l’objet entretiennent dès lors des rapports fusionnels, passionnels, qui, à l’extrême, peuvent inverser les rapports de valeurs entre eux.
Claire Malrieux réécrit l’histoire en nous dévoilant la face cachée de la lune. Grâce à des calculs de la Nasa, elle met en abîme cet objet absolu du désir. Mainte fois représentée, personnifiée et rêvée, la lune est intouchable et in-manipulable. Elle est maintenant aussi bien un objet de projection et de spéculation que réelle et concrète.
Prenant la forme d’un bas-relief en marbre blanc pour l’exposition, elle se dévoile enfin. La face cachée, entre dans l’histoire de l’art.
Emmanuelle Lainé pratique la «chose», réinvente le geste, convie sa trace dans ses photographies composées en intérieurs ou en ateliers. L’espace est investi d’objets ayant perdu tous liens avec une quelconque activité humaine. Chercher leur origine c’est se poser la question de la définition de chaque chose. Où commence la forme de l’objet? Est-il créé par nécessité ou par pur désir de rendre l’invisible visible?
Le contexte de création et le contexte géographique sont des données précieuses pour celui qui essaie de “lire un objet”. Et si l’artiste cherchait à décontextualiser l’objet qu’il produit afin de créer une oscillation cognitive entre ce que nous voyons et ce qui est?
François-Thibaut Pencenat emprunte à Roger Tallon son escalier. Laissant sa fonction «au placard», nous avons devant les yeux une œuvre tiraillée entre différentes raisons d’exister. Vidée de sa fonction première pour en évoquer une autre, cette pièce remet en cause nos connaissances sur la fonction même de l’objet. L’artiste opère ici un glissement de sens et de formes, entre objet utilitaire et objet sculptural.
Dans un même mouvement, Lola Reboud s’inspire de la figure de l’aventurier, marchand, négociant et armateur, Jacques Cœur. Elle traque les mouvements et les déplacements que peuvent effectuer les objets, en réactivant les représentations cartographiques liées à l’histoire économique et aux échanges commerciaux entre les ports du XVe siècle et ceux d’aujourd’hui. Superposant deux images, elle active l’actualité contemporaine.
Katarina Sevic s’inspire de l’histoire de l’art et de l’histoire politique de son pays natal, la Serbie, pour nous proposer des installations dans lesquelles les objets sont vecteurs et témoins de cette histoire donnée. Elle s’approprie, transforme, ou encore produit elle-même des objets chargés de mémoire et expose leurs propres subjectivités. L’objet n’est pas anodin, il est actif et oriente notre interprétation.
Lili Reynaud-Dewar s’intéresse au mécanisme d’assimilation entre la production artistique d’un artiste et son identité culturelle et en questionne l’authenticité. Dans sa vidéo Cléda’s chair, 2010, l’artiste charge symboliquement des chaises de style Louis XIII sur la question du déplacement des choses et des hommes, de l’évolution d’une société et de la notion de solitude. Elle crée un parallèle entre le film Appunti per un Orestiade Africana de Pierre Paolo Pasolini et la “vie” de ces chaises. L’objet est ici vecteur de tout un discours.
Simon Nicaise ouvre et clôture l’exposition avec sa collection de premières pierres, qui nous renvoie à l’origine des choses, la construction, et nous rappelle que toute histoire a un commencement, une continuité. Sa sculpture nous propulse également dans le vaste champ de la projection et du devenir. (Fabienne Bideaud, commissaire, et Ann Guillaume, artiste)
Vernissage
Jeudi 10 janvier 2013 à 18h
Pierre Vanni, Cet objet vous va si bien, 2012.
Courtesy La Box, Bourges, © Pierre Vanni