Michael Amzalag et Matthias Augustyniak se rencontrent pendant leurs études à l’Ecole nationale des Arts décoratifs de Paris et montent en 1992 l’agence M/M (Paris). Si leurs premiers travaux consistent essentiellement en des pochettes de disques, ils diversifient rapidement les supports et développent des partenariats dans les domaines de la presse (Les Inrockuptibles, Vogue Paris, Purple Fashion, etc.), de la mode (Yohji Yamamoto, Jil Sander, Calvin Klein, Stella McCartney, etc.), de la musique (Björk, Madonna, Benjamin Biolay, Etienne Daho, Jean-Louis Murat, Kanye West, etc.), du design — et de l’art. Les enjeux soulevés par leurs productions se déplacent ainsi au fil du temps et des médiums.
C’est notamment à partir d’un projet éditorial mené en 1995 avec Nicolas Bourriaud (Traffic, CAPC de Bordeaux) qu’ils entament une discussion fertile, et complexe, avec le monde de l’art. S’ils se nourrissent très tôt de cette transversalité, ils attachent également beaucoup d’importance à ne pas mélanger les rôles et à éviter toute forme de pseudo-art. Préférant assumer leur propre position que de vouloir en changer, ils établissent dans cet esprit de nombreuses collaborations avec des artistes tels que Pierre Joseph, Philippe Parreno, Pierre Huyghe.
La présence du duo dans une galerie d’art aurait donc pu nous étonner. L’exposition occupe la vitrine extérieure et quatre espaces de la galerie, seules sont montrées des pièces en volume. Graphistes, mais designers aussi. Au premier abord il n’y a pas de méprise possible, ce ne sont pas des œuvres d’art mais bien des objets à dimension fonctionnelle: un pouf, une applique, quatre tapis, une table, divers luminaires, un portant et un paravent. Certaines pièces sont même des reproductions dont les versions «originales» occupent activement leurs fonctions: l’Applique [Thoumieux] (2010) a été créée pour une brasserie parisienne, et l’Infinitable [Mise-en-abîme] (2011) est inspirée de la table de travail de M/M toujours présente dans leurs bureaux.
Sur les surfaces planes du paravent, des tapis ou du pouf se développe un travail proprement graphique. On retrouve les tracés noirs, les superpositions photographiques et les associations colorées que certaines de leurs réalisations antérieures nous ont rendues familières. Le traitement des signes intègre et dépasse leur propre répertoire. Ainsi le Pouf (C’est Wouf!) (2013) réalisé spécialement pour l’exposition, est un montage visuel où l’innovation côtoie la citation ; sur sa face rectangulaire l’ancien logo de la galerie apparaît au détour d’une autre forme, indice d’une collaboration de longue date. Il est surmonté de Wouf dont le dessin simplifié en fait sans doute le nouveau compagnon de «The Agent», autre personnage récurrent.
Au-delà de leur propre répertoire certaines pièces de M/M font explicitement référence à l’histoire de l’art du XXe siècle. Les dessins qui se développent sur le Paravent (2001) évoquent clairement le Grand Verre de Marcel Duchamp, et l’Infinitable [Mise-en-abîme] accueille une mini-rétrospective de leurs œuvres phares à la manière d’une Boîte-en-valise.
Par leurs présentations, certains objets semblent se jouer de leur propre fonctionnalité: le pouf est adossé au mur comme s’il attendait qu’on l’y accroche; le Paravent est transparent et ses différentes surfaces de verre se succèdent dans la vitrine comme autant de cadres noirs. Les tapis sont montés sur de grands portants en bois peints dans un style un peu Bauhaus qui déploient les quatre pages de The Carpetalogue (2012). Exposés de la sorte les deux premiers tapis noués à la main ressemblent à s’y méprendre à une installation d’art contemporain, alors que les deux seconds forment un abris sous lequel un petit Wouf lumineux a trouvé refuge.
Graphistes et designers à la fois, les M/M veulent se situer à l’interaction de différents systèmes de communication, depuis ce point fragile où se tiennent les registres du domestique et de l’affectif, où se côtoient l’histoire de l’art et ses stratégies contemporaines d’exposition, à l’image de Wouf.
Mais l’ensemble est loin d’avoir l’austérité de ces réflexions: les couleurs vives, les motifs et les changements d’échelle rendent la visite à la fois ludique et agréable. A la différence de beaucoup d’artistes, les M/M s’affirment comme des professionnels de la communication.
Lire
— Emily King, M/M (Paris) de M à M, Éd. La Martinière, 2012, 528 p.
— Entretien réalisé par Hans Ulrich Obrist en 2004 (http://www.mmparis.com/texts/mm_huo.html)