Tantôt dans la lumière ou dans l’ombre, habité par des sons ou des vidéos qui ponctuent les différents stades de la visite, l’endroit se métamorphose à chaque pas. Les visiteurs sont alors les explorateurs d’une partition musicale en trois dimensions qui ne cesse de s’écrire. Un jeu d’interaction se met en place: les déplacements des spectateurs influent sur la forme générale de l’exposition et cette dernière répond à son tour en écho. Elle détermine alors les réactions de ceux qui la traversent.
Le mur extérieur, près de la caravane de l’entrée, est recouvert de noir et d’un texte aux lettres argentées. Cellar Door s’ouvre sur une phrase «Il était une porte — c’est fort — où le futur entrait d’abord». Par cette introduction linguistique, Loris Gréaud nous plonge au coeur d’un conte fantastique dans lequel le lecteur/visiteur va pouvoir imaginer sa propre histoire mêlée de rêves, de désirs et d’angoisses.
La régie qui se trouve sur notre gauche, lorsque nous pénétrons dans la première pièce, est totalement vitrée. Elle laisse découvrir les coulisses du spectacle en préparation. Un ingénieur son et lumière anime de manière aléatoire les décors mystérieux installés autour de nous.
Un distributeur de confiserie nous invite à acheter de petits paquets de bonbons. Celador, le bonbon au goût de l’illusion, friandise sans saveur particulière, résume à lui seul les intentions de l’artiste. Le public doit pouvoir garder en souvenir et en toute subjectivité, ses propres impressions de la visite.
Les oeuvres exposées ne sont que des éléments de base servant à la construction d’un imaginaire riche en interprétations particulières. Le Palais de Tokyo devient un réceptacle vidé d’intentions artistiques figées et chaque visiteur est amené à le remplir de sa propre personnalité.
Les cartels qui annoncent les différentes “bulles” mises en place par Loris Gréaud sont présentés sur des petits pupitres qui s’allument et s’éteignent régulièrement. Semblable à une respiration lente et tranquille, cet éclairage en mouvement nous oblige à patienter afin de pouvoir lire correctement les indications. On se rapproche d’une salle d’où surgit une lumière blanche. Une multitude de néons enchevêtrés se démultiplie dans l’espace en se réfléchissant dans des miroirs posés au sol. Les plans de l’architecture du Palais de Tokyo froissés en boule ont été modélisés à l’échelle du lieu. Cette structure lumineuse ascendante bouleverse notre vision linéaire et horizontale de l’endroit, ici déconstruit.
Plus loin, une pause est induite par une ouverture faite dans le mur. A travers la paroi on assiste à la projection d’un court métrage réalisé avec des bobines de film super 16 mm périmées. Vestiges des salles de l’ancienne cinémathèque logée sous le Palais de Tokyo, ces pellicules laissent entrevoir les sursauts abstraits d’une fiction contenue, incapable d’être révélée au grand jour. Les traces du passé imprègnent le présent qui peine à se matérialiser sans notre aide. Nous inscrivons dans chaque tache, chaque aplat et chaque rayure qui se succède sous nos yeux les prémisses d’une fiction hypothétique.
Derrière nous, une cage grillagée, plongée dans le noir, se déploie dans l’espace central. Des joueurs de Paint Ball semblent pouvoir surgir à tout moment pour entrer dans une compétition dont les règles nous échappent et dont l’objectif principal est d’atteindre son rival. En l’absence de mouvement dans cette sculpture démesurée nous poursuivons notre visite, en projetant dans cette obscurité nue, un possible combat à venir.
Une nouvelle lueur nous attire vers le fond de la pièce. Des arbres recouverts d’un composite élaboré à partir de poudre à canon se dressent sous un ballon lunaire suspendu au plafond. Nous sommes dans un conte de fée. On parcourt cette forêt sans savoir où elle nous mène et ce qui nous y attend. On imagine mille choses, influencés par notre propre vécu et notre imaginaire collectif.
Au bout de ce paysage artificiel une cabine de projection reste muette. Le film qu’elle contient ne nous sera jamais révélé puisqu’il s’interrompt chaque fois qu’un visiteur entre dans la pièce. Nous sommes sollicités, une fois encore, pour écrire un scénario à notre convenance. Différent pour chacun d’entre nous, il est à l’image de toute l’exposition qui se construit selon notre bon vouloir. Le futur est bel et bien présent, il nous précède et se dessine à chaque instant, conditionné par nos gestes, notre regard et notre façon d’habiter l’espace.
Loris Gréaud
— La Bulle Forêt de poudre à canon, 2008.
— La Bulle Plateau, 2008.
— La Bulle Merzball, 2008.
— La Bulle Néon, 2008.