François Bauchet
Cellae
François Bauchet expose neuf pièces. La série est nommée cellae. Ce sont les développements envisagés de structures de rangement, tables de différentes hauteurs, tablettes et étagères. Un feutre technique de couleur claire, régulièrement perforé, imprégné de résine polymère teintée, constitue son matériau unique. A cette unité de matière répond l’unité du dessin et du rythme qu’il institue. Le lexique formel se répète de manière identique (sérielle), selon la même logique modulaire. Seules changent ses dimensions, en regard des pièces concernées, en réponse à leur échelle, attentive aux fonctions servies. cellae est une ligne fondée sur la répétition et marquée par la coupure. Une cadence et une discontinuité en gouverne les variations: cette concentration très nette du vocabulaire employé fait la force de l’émotion qu’elle suscite. C’est dans la retenue, dans cette contrainte volontaire déclinée à tous ses aspects -matériau, dessin, nombre, fonctions- qu’habite sa vigueur.
Les caractéristiques de l’économie et de la tension (peut-être ce que le design et l’architecture ont su développer de plus durablement fascinant) guident ses traits. Elles en animent la rigueur dynamique. Une mise en Å“uvre technique très complexe, mais le sentiment de la facilité et de la légèreté in fine, une tranquille élégance de simplicité et de force. François Bauchet parlera d »évidence, mais c’est de celles qui sont pétries de complexité. On pourrait, par exemple, s’arrêter à la sévérité de cette teinte grise, supposée unique. Elle ne fait pas justice à la variété des nuances d’un gris enchanté: les pigments jouent avec le matériau sur lequel ils se sont fixés. Ils confèrent une profondeur à ce qui n’en a presque pas. Glacis minéral, nacre de synthèse -des forces d’abstraction viennent se loger dans la chimie presque élémentaire des couleurs. Elles viennent agiter le dessin modulaire: la profondeur ne répond plus à la mesure chiffrée. Ce choix chromatique et son traitement même renvoient aux dimensions minérales, animales ou organiques du travail.
Ces origines ou influences possibles, inconsciemment éveillées en nous par les pièces, font aussi partie de la justesse et de la cohérence du travail. Au degré initial du processus de création, François Bauchet évoque le sentiment du monolithe (ou monoxyle, ou encore une autre unité de matière) et d’un ouvrage qui s’est apparenté à la sculpture de volumes taillés dans la masse -c’est à dire une démarche de soustraction, non d’addition. Elle va de pair avec l’absence de ces assemblages qui font partie de la construction des éléments de mobiliers habituels, ceux que le bois ou le métal exigeraient à peu près certainement. Elle vient à son tour souligner cette cohérence de masse formidable, où la sévérité est un autre jeu.
François Bauchet met en place une discipline du biais. Il incline les cloisons des cellules. Il décline une tangente moderne. Un ordre, la règle physique, traduite dans le refus des orthogonalités. Le déséquilibre s’ensuit, inévitablement. Ce déhanchement est une dynamique irrésistible. Fatalement, l’une des beautés du travail est alors précisément son moment d’interruption, là où il s’arrête. cellae est de l’ombre découpée au moyen d’une lame aiguë. La pièce appelle une suite (prolongement, extension) et elle se coupe pourtant. Dans ce moment de la décision, celle qui dit de ne pas vouloir aller au delà , se constitue un manque. Ce rythme est présent dans chacune des neuf pièces. Il est à chaque fois celui généré par la rupture opérée dans la dynamique de leurs variations thématiques. Coupure et section: la vérité de cellae est dans ses tranches, dans le vif. Dans la scission habite une violence qui entame le mouvement. Un sabotage de l’élan qui amplifie, évidemment mieux que sa continuation, l’énergie déployée parce que tous les éléments du lexique nous ont été donnés, tout de suite, et nous continuons seuls sur notre lancée, nous sommes aspirés par ce vide, inspirés par la course engagée, par les différentes perspectives infirmée.
critique
Cellae