Céleste Boursier-Mougenot est un artiste de l’expérience vécue, dans son corps comme dans sa tête. Par des dispositifs d’une simplicité et d’une épure exemplaire, il nous bouscule dans nos habitudes et nos modes de perception.
Comme lorsqu’il installe un éboulement de galets sur les marches du grand escalier de l’entrée de la galerie, rendant le passage ardu et périlleux pour celui qui ne regarderait pas où il met les pieds. C’est une expérience intime — regarder où l’on met les pieds pour ne pas risquer la chute — mais aussi collective puisque l’étroitesse du passage ne permet le gravissement de l’escalier que dans un sens à la fois, une personne derrière l’autre.
Après avoir franchi ce «rite de passage», le public est prêt à méditer sur ce qui lui est donné à voir… et à entendre. Il se met en quête. Arrivé dans la première salle d’exposition, il découvre cinq grandes ruches en bois carbonisé installées en ligne. Les objets sont beaux, de part l’irisation et le craquèlement occasionné par la carbonisation. Symboliquement, cette épreuve du feu à laquelle ils semblent avoir réchappé leur confère une valeur de relique. Davantage, le sentiment naissant d’avoir affaire à des objets chargés d’une puissance magique est renforcé par le son bourdonnant mais très léger qui les entoure.
Ce son est en fait produit en direct par le vol des abeilles qui habitent une ruche installée dans la salle du fond de la galerie. Celle-ci étant vitrée, le spectateur peut contempler en toute quiétude le va-et-vient des abeilles affairées. L’artiste y a placé des microphones de manière à capter les vibrations sonores du battement des ailes et à les mixer selon un programme qui lui-même est modulé en fonction du passage du visiteur d’une ruche à l’autre, dans la première salle d’exposition.
L’opération relève du décalage, dans le temps et l’espace, dans la manifestation d’un événement à un endroit et sa suggestion dans un autre, dans l’interférence et la modulation perpétuelle du son en fonction du contexte extérieur qui se joue en direct. Le son est le produit d’une énergie extérieure que l’artiste capte et recycle par le truchement de programmes électroniques. On ne peut pas vraiment parler de musique mais plutôt de sensations de l’oreille ou de vibrations.
Dans la deuxième salle, aucun son ne vient perturber notre contemplation d’un téléphone en bakélite greffé sur un socle en cire noire. Le public est ainsi placé dans une situation d’attente et d’interrogation, et ce n’est qu’avec l’explication du dispositif mis en place par l’artiste que l’on saisit sa connexion profonde avec le «bruit du monde actuel». En effet, le téléphone sonnera à chaque fois que le mot «fantôme» apparaîtra dans le magma virtuel des mots surveillés par Google. Ainsi, l’objet se transforme en signal, en outil de surveillance qui traduit l’angoisse potentielle du spectre du Big Brother surveillant le moindre mot échangé sur la Toile.
C’est ce décalage, cette attention à des mouvements ou des processus dont les temporalités se superposent que l’artiste permet d’appréhender physiquement et qui donnent une saveur si particulière à ses installations sonores. Le son introduisant les notions de temps et de flux, de transformation et de modulation, il fait pénétrer le spectateur dans une expérience vécue à chaque fois renouvelée et pleine de possibles.
Å’uvres
— Céleste Boursier-Mougenot, Relais (détail), 2012. Installation en 2 parties: 1ère partie, ruches carbonisées, ruche peuplée, galets, ordinateur, carte audio, amplificateurs, haut-parleurs.
— Céleste Boursier-Mougenot, Relais, 2012. Installation en 2 parties: 2de partie, ruche peuplée, microphone.
— Céleste Boursier-Mougenot, U43, 2012. Cire, bois, téléphone en Bakélite. 145 x 28 x 23 cm.
— Céleste Boursier-Mougenot, Chorégraphie, 2012. Galets. Dimensions variables.