Elisa Fedeli. Le projet «Berlin-Paris» est organisé par le service culturel de l’Ambassade de France en Allemagne. En quoi consiste-il?
Cédric Aurelle. Le bureau des arts plastiques du service culturel est spécialisé dans la promotion de la scène artistique française en Allemagne. C’est une exception dans le réseau culturel à l’étranger, il n’en existe que deux au monde. Nos missions touchent aussi bien le domaine institutionnel que le marché. Le projet «Berlin-Paris» répond à un vœu de notre ambassadeur, Bernard de Montferrand, par ailleurs président du FRAC Aquitaine.
Il consiste à impliquer des galeries berlinoises dans un projet de collaboration avec des galeries parisiennes. Afin de refléter l’éventail du paysage marchand berlinois, il nous a paru important d’associer des galeries établies, influentes aux niveaux local et international — comme Mehdi Chouakri, Esther Shipper — à des galeries «en milieu de carrière», voire à de très jeunes galeries.
Le projet repose sur l’idée d’un aller-retour. D’un côté, la scène berlinoise qui attirait et continue d’attirer des artistes par son côté effervescent. De l’autre, la scène française qui est déjà très structurée avec un paysage institutionnel très fort, une nouvelle génération de collectionneurs qui s’est imposée ces dix dernières années et une des foires les plus importantes au monde, la FIAC.
La ville de Berlin est aujourd’hui considérée comme le nouvel Eden des artistes. Quels sont ses atouts?
Cédric Aurelle. En premier lieu, les aspects techniques et matériels de la ville: les loyers sont très peu chers, les espaces disponibles sont grands et nombreux. Quand on compare avec Paris, on est dans deux mondes complètement différents! A Berlin, on peut assez facilement louer un atelier de 100m2 pour 500 euros par mois. Même si aujourd’hui, ce n’est plus le cas dans Mitte et qu’il faut aller de plus en plus loin.
Ensuite, il y a un phénomène d’émulation: les artistes qui viennent à Berlin entraînent leurs amis artistes qui, à leur tour, font venir d’autres amis, etc. Berlin est une ville où les artistes se rencontrent. Un certain nombre de stars de l’art contemporain y vit. Berlin est à l’art ce que Hollywood est au cinéma. On y croise régulièrement Olafur Eliasson, Thomas Demand, Monica Bonvicini, Tacita Dean, Saâdane Afif. Les jeunes artistes peuvent ainsi rencontrer leurs aînés, qui les aident et les introduisent à la scène artistique locale. Curateurs et collectionneurs suivent ensuite ce mouvement.
Par ailleurs, la ville est en redéfinition perpétuelle d’elle-même et offre un champ d’expérimentation aux artistes.
Enfin, l’histoire de la ville, qui résume toute celle du XXe siècle, est une matière dans laquelle certains artistes viennent puiser.
De quelles nationalités sont majoritairement les artistes vivant à Berlin?
Cédric Aurelle. Je pense qu’il y a un phénomène de vagues. La ville attire des artistes de toutes les nationalités, qu’ils soient américains, sud-américains, slaves, français, espagnols, italiens, belges ou scandinaves. C’est un phénomène qui date du tournant des années 2000 et qui s’est emballé après 2005.
A Berlin, quelles sont les galeries d’art contemporain incontournables?
Cédric Aurelle. De même qu’il y a un phénomène d’emballement du côté des artistes, il y en a un du côté des galeries. Les galeries fondatrices — c’est-à -dire celles qui ont structuré dans la seconde moitié des années 1990 une scène marchande qui n’existait pas — sont notamment Contemporary Fine Arts, Neu, Esther Shipper, Mehdi Chouakri, Carlier Gebauer et Neugerriemschneider.
Après 2005, une floraison de galeries plus ou moins intéressantes a eu lieu. On a atteint le chiffre de 650 avant la crise!
Autre phénomène significatif, un certain nombre de galeries allemandes a ouvert une antenne à Berlin — comme Konrad Fischer — voire déplacé leur maison-mère à Berlin comme Sprüth Magers. Ce déplacement répond à une exigence des artistes, désireux d’avoir une plate-forme de visibilité sur Berlin. Il n’est pas directement lié au marché, car les collectionneurs en Allemagne sont plutôt installés à l’Ouest, dans les villes riches comme Düsseldorf, Stuttgart, Cologne, Hambourg ou Munich. Berlin est une ville dépourvue, pour des raisons historiques, de la couche sociale dont sont issus majoritairement les collectionneurs.
Jusqu’à il y a cinq ans, les galeries étaient concentrées dans Mitte, d’une part sur Auguststraße et Linienstraße et d’autre part, Zimmerstraße. Ensuite, il y a eu un phénomène d’explosion, les galeries se sont mises à explorer d’autres territoires comme le sud de Mitte, Wedding, Karl-Marx-Allee et Kreuzberg, mais aussi l’Ouest. Enfin, on assiste à présent à un phénomène de repli vers le dernier lieu à la mode, la Postdamer Straße. Il s’agit donc d’une scène très mobile.
Quels sont les jeunes artistes que la manifestation de cette année met en valeur?
Cédric Aurelle. Le projet associe des artistes du passé à de jeunes artistes. Chez Mehdi Chouakri, des artistes contemporains ont fait des wall paintings sur lesquels sont accrochées entre autres des œuvres de Dubuffet et de Natalia Gontcharova. La galerie Isabella Bortolozzi qui, d’habitude, ne présente que de l’art contemporain a choisi de montrer des œuvres de Jean Arp et de Kurt Schwitters.
Le jeune galeriste Romain Torri présente chez Carlier Gebauer deux jeunes artistes français, Florian Pugnaire et David Raffini, que l’on a découverts récemment en France dans le cadre de l’exposition «Dynasty» au Palais de Tokyo. Il expose également des œuvres de Braco Dimitrijevic, artiste d’une autre génération, originaire de Sarajevo, résidant du DAAD à Berlin en 1976 et devenu un pilier de l’art conceptuel.
Des artistes français résidant à Berlin depuis plusieurs années seront présentés pour la première fois dans l’un ou l’autre pays. Nicolas Moulin, qui n’a jamais eu d’exposition en galerie à Berlin, sera présenté à la galerie Klemm’s. Renaud Regnery, qui n’a jamais exposé en France, sera présenté à Paris chez Valentin.
Une des surprises du projet est l’invitation de la galerie Sommer and Kohl au projet d’artiste «The Institut of Social Hypocrisy», dont la dimension critique prend pour cible le système de l’art et ses réseaux.
Quels sont les futurs projets du bureau des arts plastiques, dont vous êtes le responsable?
Cédric Aurelle. «Thermostat» est un projet co-initié avec l’association DCA dont l’objectif est la collaboration entre 24 centres d’art et Kunstverein (de juin 2010 à avril 2011). Comme «Berlin-Paris», il encourage la mise en relation des professionnels. Les centres d’art et les Kunstverein ont des problématiques assez proches, bien que les secondes soient des structures plus anciennes et spécifiques à l’espace germanophone.
En Allemagne et au niveau international, il y a aujourd’hui un changement de perception de la scène artistique française. L’exposition «Paris le monde» (11 juin-25 septembre 2011) sera consacrée à la scène française avec une quinzaine d’artistes dont Saâdane Afif, Damien Deroubaix, Dove Allouche, Cyprien Gaillard. C’est une initiative de la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe et c’est la première fois qu’en Allemagne un projet d’une telle envergure voit le jour sans le moteur de l’institution française. La machine est désormais enclenchée…