On a comme l’impression de se retrouver téléporté dans les années soixante-dix. Au bon vieux temps des utopies de toutes natures, du rock planant, de la fumette, des hippies et des chemises à fleurs, des pantalons à patte d’eph et des T-shirts à l’effigie du Che, des danseurs de jerk…
Un retour aux sources, en somme. Pas à la raison, mais au corps. À l’élémentarité schlemmerienne, à l’essentiel. Au geste accessible à tous, à tous les genres d’individus, à toutes les sortes de morphologies, à toutes les nuances et dorures de peaux. La danse conçue comme un idéal démocratique. Ou, si l’on veut, un paradis sur terre. Avec Adam et Ève au grand complet, et Robinson et Juliette.
Avec, également, hors champ, tapie dans l’ombre, derrière un orgue à lumières, la meneuse de troupe, la chorégraphe, qui sait à quoi s’en tenir. Qui est dans le réel, de et dans son temps — comme l’étaient du reste les artistes néo-concrétistes brésiliens qui ont marqué les années soixante — , engagée politiquement, socialement, dans un travail remarquable auprès des cariocas défavorisés, puisque c’est dans la favela Maré — qui n’a rien avoir avec les Ballets suédois de Rolf de Maré ! — qu’elle a décidé d’installer sa compagnie de danse. D’où la mise en cause, aussi, du confort bourgeois et des conditions du spectacle auxquels se réhabitue assez vite en fait, ou finit par se résigner facilement, le public.
Le presque rien et son contraire. Le silence avant le vacarme — à un moment, l’une des danseuses bouge les lèvres sans qu’on puisse l’entendre, illustrant la consigne dadaïste qui est sans doute à l’origine du titre d’un film fameux de 1981 de Philippe Clair avec Aldo Maccione et Edwige Fenech : Tais-toi quand tu parles !…
Le calme et puis la tempête. L’alanguissement et, ensuite, le soulèvement de la jeunesse. Une énergie contrôlée. Un art martial. La deuxième partie du show est textile, bruyante et festive. Un pas de quatre dynamique donne le ton et le tempo. Les effets faciles de gestes à l’unisson sont compliqués par des mouvements singuliers et vifs de chaque danseur, des boucles, des actions répétitives. La structure est de type canonique.
La danse peut, comme dans la première partie de la pièce, prendre la forme d’un entraînement de gymnastique — rythmique, sportive, labanienne —, d’un travail intime ou narcissique de « body building », de postures plus exhibitionnistes de voguing, de jeux de miroir avec le partenaire et d’adresse, de techniques d’équilibrisme, de savantes contorsions circassiennes, d’agencements purement géométriques, de modelage sculptural, ou de pratique de type yogique.
Les danseurs se partagent le terrain de jeux, un immense hangar isolé du reste du monde, servent d’ouvreuses aux spectateurs qu’ils placent et replacent au gré de leurs changements d’axes, délimitent à chacune de leurs actions (qui ressemblent plutôt à des tableaux vivants) le cadre scénique et celui des rangs d’orchestre, réduits à quelques tatamis en linoléum.
Toute cette moitié de la pièce se déroule en silence, un motus vivendi régulièrement perturbé par le ronron des cycles systoliques de la machinerie destinée à la ventilation du lieu. Les mouvements des athlètes-danseurs sont doux et leur respiration est rythmée par cette soufflerie artificielle.
La nudité des corps ne pose aucun problème, ni aux uns, ni aux autres. Elle n’est pas motivée par un discours ou une idéologie de type naturiste mais plutôt par les mouvements eux-mêmes, par le type de gestes et de combinaisons proposés par la chorégraphe et ses danseurs.
Effectivement, par leur élémentarisme, les actions relèvent d’une gymnique immémoriale — préhistorique, amérindienne ou, pour ce qui est de l’Europe: grecque, olympienne —, de temps et de contrées qui célébraient le corps.
Pour prendre des modèles plus proches de nous, rappelons que la chorégraphe se réfère volontiers à une artiste d’avant-garde, Lygia Clark — que nous avons connue dans les années 70, du temps où elle enseignait à la faculté d’arts plastiques de Saint-Charles. Cette créatrice renonça à la peinture et à la « marchandisation de l’art » pour passer à autre chose: des « performances », une approche personnelle du « body art » qu’elle qualifia de « fantasmatique du corps », à l’art-thérapie et, aussi et surtout, à l’analyse du rapport entre l’objet artistique et celui qui le contemple.
C’était, il est vrai, du temps où le spectateur était appelé à « participer » à l’œuvre, voire à en devenir acteur.
— Création et direction: Lia Rodrigues
— Conception et direction chorégraphique: Lia Rodrigues
— Création chorégraphique: Marcela Levi, Micheline Torres, Marcele Sampaio, Amália Lima
— Musique: Zeca Assumpção
— Lumières: Milton Giglio
— Programmation visuelle: Monica Soffiatti
— Photos: Tatiana Altberg
— Vidéo: Lucia Helena Zaremba
— Co-production: compagnie Maguy Marin et Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape.