Par Nathalie Rias
La saison dernière, le théâtre s’inscrivait dans la ville à travers des propositions plastiques. Les flèches rayées rouges et blanches de Daniel Buren indiquaient la direction du théâtre tandis que le cube lumineux de Yann Kersalé irradiait, la nuit, sur le toit de l’édifice, comme un point de ralliement attractif et poétique.
Cette année, le théâtre signalé devient une plateforme entre des préoccupations intimes — de l’ordre de l’autoportrait, de la question du je, de l’autofiction avec les pièces de Rachid Ouramdane et celles de Pascal Rambert — et des échappées vers l’extérieur avec l’invitation de chorégraphes et de metteurs en scènes étrangers dont deux japonais.
Ce double mouvement de l’ici qui s’articule avec l’ailleurs se retrouve à travers les cinéastes invités en résidence. L’un est français, l’autre est étranger. Leurs films, qui transforment (selon eux) la ville de Gennevilliers, ne resteront pas de simples expériences locales car elles seront accompagnées par un travail sérieux de production et de diffusion. On pourra voir les films au festival de Locarno ou en diffusion télévisée, une façon de rendre hommage aux gennevillierains. Il faut dire que la question de savoir à qui s’adressent les activités du lieu n’est pas abordée ici de façon frontale. On se souvient de l’équipe d’un théâtre d’une ville voisine faisant du porte-à -porte afin d’attirer les habitants de la commune dans leur établissement… On doute du résultat ! Ici les portes sont ouvertes tout simplement et les gens entrent, les ateliers d’écritures gratuits sont très fréquentés ainsi que les répétitions publiques des spectacles.
L’autre expérience participant de ce mouvement est le partenariat avec la Comédie française. Cette fois-ci, c’est un chorégraphe congolais qui va s’attaquer à Bérénice. La Comédie française innove dans le genre car elle confie habituellement ses textes à des metteurs en scène. Les frontières entre le théâtre et la danse deviennent enfin poreuses dans une grosse institution alors que chez les créateurs elles le sont depuis longtemps — cela fait déjà 9 ans que « les signataires du 20 août » se sont exprimés.
Dans la lignée de l’ensemble de la programmation, le théâtre aspire l’extérieur vers l’intérieur, Valérie Jouve s’intéresse au spectateur, à « qu’est ce qu’on voit ? ». La saison dernière, elle a réalisé un travail photo dans lequel des gennevillierains sont pris de dos. On aperçoit des bribes de la ville en arrière plan. Ce cadrage enlève le côté hyperréaliste de la photo, les sujets n’apparaissent pas comme sujets sociaux mais comme des personnes qui entretiennent un rapport intime et personnel avec la ville, impossible à deviner. La seule chose que l’on suppose est la puissance imaginaire de chacun.
Cette année des collaborations se mettent en place : les pièces de Rachid Ouramdane et Pascal Rambert sont présentées en miroir ; Marie-José Mondrain, qui invite habituellement des philosophes à débattre, est elle-même conviée dans un des projets du directeur des lieux. Ce mode collaboratif place chaque créateur dans sa propre parole subjective contrairement au fonctionnement de nombreux CDN où tout s’organise encore autour du metteur en scène selon l’archaïque modèle de la troupe de théâtre, au service d’une idéologie commune et où la singularité est vécue comme trahison.
On se met à rêver, et on imagine que Céleste Boursier-Mougenot emplirait le foyer du théâtre d’oiseaux sautillant sur les cordes de guitares amplifiées… Il n’en sera pas ainsi, ce sera à nous visiteurs de nous envoler vers l’écriture par le biais d’un dispositif informatique en libre service qui invite à laisser des phrases, ces dernières transformées en partitions et jouées par un piano mécanique.
« Nous sommes fatigués, sur les genoux, cela a été rock and roll » concluera Pascal Rambert. On ne fait que saluer l’attitude.