Catherine Poncin
Traversées
Dans chacune de ses séries, Catherine Poncin développe une relation très étroite et intime avec un thème, un lieu, un cadre de rencontres, et en conçoit des projets presque in situ, qu’ils s’inscrivent dans le cadre de commandes ou émanent de désirs personnels.
Si toujours Catherine Poncin a conduit des recherches au sein d’archives, peu souvent, finalement, elle a fait part de ses passions, pourtant claires aux connaisseurs de l’iconographie classique: la littérature et l’histoire de l’art. Elles jalonnent ses photographies et vidéos, portent sa parole, sous-tendent ses propos.
Dans son travail, il s’agit souvent de pièces recomposées, «recom-pensées» presque, avec ou en écho à une histoire, un moment, et parfois un livre. Que l’on pense à ses travaux autour du Maghreb évoquant à l’évidence Albert Camus mais aussi Kateb Yacine, ou encore d’une manière différente sa série Palimpseste issue d’une commande du château Ferney-Voltaire dont le nom laisse échapper un souffle narratif cher aux lecteurs d’images, tout renvoie à une ossature littéraire.
Ce travail de dé-, puis de re-contextualisation d’images, associées les unes aux autres, constitue la base même de son langage. Parfois même, on peut lire entre les lignes qui fragmentent ses montages l’évocation d’écrits qu’elle redécouvre. Quoi de plus commun que de dire que l’image est l’écriture par la lumière plutôt que par le mot et la plume?
Cette fois, les images présentées par Catherine Poncin forment un corpus aléatoire qui initie une promenade au sein de l’œuvre même. Certains reconnaîtront des projets, des moments, entre la carte blanche passée par la ville de Grasse, son voyage en Jordanie ou sa résidence à la maison des arts Bernard Anthonioz qui fut la demeure des sœurs Smith. D’autres, les moins avertis, auront plaisir à voir une scène mettant en acte nombre d’éléments qui, bien que disparates, créent une nouvelle pièce. C’est l’attrait de ce projet d’exposition: associer des moments divers de photographies autour d’une imagerie commune, entre narrativité et histoire de l’art, entre littérature et peinture d’une certaine manière.
Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir rappelé le statut iconique de l’image que Paul Ardenne avait déjà pointé en 1996 comme central au travail de Catherine Poncin. Les historiens de l’art reconnaîtront dans la colombe (L’envol vers Polyphème, pièce photographique réalisée pour la ville de Grasse, associant capture vidéo d’une colombe et paysage peint par Poussin) le symbole de Vénus/Aphrodite et son omniprésence dans les tableaux de la Renaissance.
Dans cette autre pièce, rapportée de Jordanie, ils associeront gravure, aile d’ange et arbre de Judée et relieront l’arbre de Judas, le «bitume de Judée» utilisé en peinture comme pigment fossile, mais aussi La Dernière Cène de Léonard de Vinci dans laquelle Judas, cherchant à saisir le pain de Jésus, se désigne comme traître.
Sans doute ne faut-il pas d’avance analyser chacune des pièces de cette exposition car certaines résistent au sens et c’est ce qui les rend si littéraires, si plurielles en tout état de cause. L’installation chromatique Chant de roses, si elle fait retour au livre par la découverte initiale du texte du XIXe d’Alphonse Kharr, Mon jardin, dépasse la simple anecdote de l’élection de la plus belle rose telle que décrite dans cet abécédaire de fleurs prisées. Ce qui frappe c’est le travail sonore et visuel, presque synesthétique auquel Catherine Poncin se livre, avec la complicité du compositeur Philippe Valembois, pour interpréter l’histoire.
On parle alors de Traversées, un titre allant «de soi» pour ce parcours d’artiste dont les envies et les projets courent le long d’un chemin sinueux, évocateur d’un oued nourricier qui parfois se transforme en torrent. La clé de lecture de cette exposition est rassemblée en une pièce somme, une «œuvre fleuve» dirait-on… Carmen Mundi, sorte de fresque anthologique composée de faïences et de jardins, sculptures, enluminures; sorte de livre monde à la manière de la bibliothèque de Sartre… En un mot, un parcours tout à la fois musical, visuel et sensible et c’est en cela, peut-être, que s’orchestre dans le travail de Catherine Poncin ce dépassement tant espéré, et toujours merveilleux, de la littérature…
Valentine Umansky
Catherine Poncin est née en 1953 à Dijon. Elle vit et travaille à Montreuil.