Catherine Melin
La notion de déplacement et la façon dont le contexte architectural et urbain peut se voir détourné, réapproprié, traversé et habité selon des modes alternatifs est au coeur du travail de Catherine Melin. Elle s’exprime à travers des recherches visant à jouer de la circulation du visiteur dans l’exposition. Elle correspond enfin à une réalité vécue par l’artiste elle-même, qui depuis bientôt quinze ans prélève par le dessin, la photographie et la vidéo les images de sites, souvent anonymes, de villes d’Europe, d’Amérique et, dans les oeuvres récentes présentées dans l’exposition, de Russie.
L’architecture imposante et sans grande imagination ainsi que les abords des immeubles d’habitation collectifs des époques soviétique et post-soviétique constituent la matière première de la série de dessins sur papier, dans lesquels s’opère la condensation des images photographiques prélevées par Catherine Melin lorsqu’elle traverse ces espaces urbains de second ordre, à faible légitimité — en particulier les cours et les aires de repos avec portiques de jeux pour enfants — relevant au passage les mutations de l’espace social et urbain que la Russie a connues au cours de ces dernières années.
Fruit d’un processus de montage et de stratification de plusieurs images, les dessins superposent les structures du bâti et des portiques de jeu, rompant les rapports d’échelle et générant de nouveaux espaces contradictoires et instables. Les dessins muraux intègrent ces nouvelles configurations dans une logique de montage avec d’autres images (chantiers, mobilier urbain, zones en attente ou en cours de mutation…) Leur projection à grande échelle génère une interaction avec l’espace d’exposition, et occasionne le déploiement du dessin initial, lequel perturbe sans cesse le point de vue du spectateur, dont les déplacements pour tenter de corriger la perspective sont en partie guidés ou contrariés par la présence des structures en trois dimensions, tubulaires et colorées. Ces dernières prennent pour point de départ les structures d’aires de jeu et de mobilier urbain, complexifiées et déconstruites jusqu’à ce qu’elles en deviennent non-fonctionnelles.
À la fois suscités et contraints par le dispositif, les déplacements du visiteur répondent aux séquences vidéo montrant des danseurs et des «traceurs», adeptes du parcours urbain, occupés à traverser, franchir ou occuper des portiques de jeux avec plus ou moins de réussite. Détournées de leur usage premier, ces structures — non destinées aux adultes — poussent ces danseurs et traceurs à inventer des moyens de les investir, à dessiner des trajectoires inédites. Ils répètent leurs mouvements — c’est-à -dire qu’ils les préparent, autant qu’ils les reproduisent sous l’objectif de la caméra. Le temps de la traversée paraît ainsi se dilater sous la multiplicité des prises de vues, tandis que les dimensions réduites des installations interdisent toute dimension réellement spectaculaire du saut. Ces aires de jeux se substituent ainsi à l’espace urbain dont elles figurent une sorte de double — parfois littéralement, certains portiques copiant la silhouette des bâtiments à l’arrière-plan.
L’exposition rejoue ainsi, dans son espace et sa temporalité spécifiques, les rapports complexes d’usage et de contre-usage qui se construisent et se déconstruisent au sein des marges urbaines. Que les espaces représentés se situent précisément à la jonction de la sphère privée et de l’espace public ne fait que rendre plus incertaine encore la possibilité d’habiter l’une comme l’autre.