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Cassandre n° 67 – Res Publica

La revue Cassandre revient cet automne avec un numéro consacré à cette "res publica" qu’est le service public de la culture et interroge sur cette question, entre autres, Régis Debray et Catherine Trautmann.

Information

  • @2006
  • 21-268-0478
  • \8€
  • E92
  • Zoui
  • 4français
  • }220 L - 280 H

Présentation
Nicolas Roméas
Cassandre/Horschamp

Sera-t-il bientôt encore possible de tenir le rôle que nous nous sommes assigné, celui de la prophétesse qui alerte pour être démentie, qui souhaite que l’on écoute son message afin d’éviter la catastrophe, plutôt que se contenter paresseusement de croire qu’elle annonce toujours le pire ?

Pourrons-nous longtemps défendre, dans ce pays, ce que nous mettons en avant depuis plus de dix ans dans ces colonnes : un art en prise avec les réalités d’une société en dehors du divertissement et du commerce, libéré des critères quantitatifs ? Un service public de la culture qui permet de considérer que le geste artistique défend d’autres valeurs que celles de l’économie et ne doit donc pas subir son emprise ?

Ça n’est pas sûr.

Chacun le sait, l’époque est dangereuse.

Si nous n’introduisons pas la question dans le jeu politique, ce qui a été construit de façon exemplaire dans notre pays en matière d’institutions culturelles risque fort d’être peu à peu démantelé. Il faut donc d’urgence réfléchir à ce que représente une véritable politique culturelle. Une politique qui cherche, qui veut quelque chose, qui a un but, un objet. Une politique intelligente qui prend en compte le rôle majeur, prépondérant, de l’art et de sa circulation dans la construction des citoyens et dans celle d’une société humaine. Il faut aussi, alors qu’on le présente comme une alternative heureuse, analyser en quoi consiste vraiment ce miroir aux alouettes qu’est devenu le mécénat. C’est-à-dire, le plus souvent, pas autre chose qu’un sponsoring déguisé : un investissement qui attend son retour, fait par des entreprises qui ne soutiendront vraiment que ce qui leur rapporte en termes d’image ou d’argent.

Il faut analyser la vie culturelle et artistique des États-Unis aujourd’hui – notamment dans les arts vivants – ou ce qu’ont produit les années Thatcher en Grande-Bretagne et Berlusconi en Italie, pour comprendre ce qui nous attend si nous substituons l’intérêt privé à l’esprit public. Si nous ne sommes pas capables de stopper l’actuelle vague de destruction qui s’abat pesamment sur l’Europe.

Il faut également essayer de comprendre comment et pourquoi ont échoué les tentatives courageuses et justes faites dans un passé récent pour réinjecter de la démocratie et du cahier des charges dans un service public touché par quelques dérives : goût des paillettes, vedettariat, personnalisation du pouvoir… La charte des missions de service public de la culture initiée par Catherine Trautmann en 1998 est un bon exemple de ces tentatives.

Le gouvernement auquel elle appartenait aurait dû logiquement prendre très au sérieux la question culturelle, dont François Mitterrand avait (plus ou moins bien) compris l’importance pour notre pays.

Or, il ne l’a pas fait. Catherine Trautmann, candide ovni dans le monde feutré des manÅ“uvres politiciennes de la capitale, n’a pas été bien soutenue. Et la question fondamentale qu’elle voulait poser, celle du sens de l’action publique dans la culture, n’a pas été portée comme elle le devait. Une charte, ça n’était guère coercitif. Sans doute était-ce insuffisant pour rappeler et marquer avec force les responsabilités des uns et des autres dans l’usage de l’argent public. La circulation de l’art dans ce que l’on appelait les déserts culturels – moteur de la première décentralisation thêatrale – ayant été quelque peu délaissée avec l’usure du temps et les pouvoirs s’étant figés dans les structures décentralisées, on n’osa pas aller plus loin.

Mais c’était déjà trop.

Déjà, à l’époque, il est intéressant de le constater, mettre en application des règles de simple bon sens demandait non seulement de la pugnacité, mais aussi beaucoup de stratégie. Déjà, à l’époque, les soutiens à une telle démarche – de la part des politiques comme des décideurs culturels – ne furent pas pléthoriques. Et les obstacles – venus de la pesanteur des pouvoirs et de la défense d’intérêts personnels – se sont avérés beaucoup plus puissants que l’élan idéaliste de notre très aimable ministre strasbourgeoise. On ne peut donc pas tout espérer d’une alternance. Notre espoir, et nous devons y travailler ensemble, c’est que l’art et la culture soient enfin considérés (même si nous ne sommes pas au lendemain d’une guerre mondiale) comme des outils essentiels de civilisation, dont le monde politique – dans toutes ses obédiences – ne peut jamais faire abstraction.

Nous avons du pain sur la planche, direz-vous.

OUI. Mettons-nous ensemble au travail.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Cassandre/Horschamp — Tous droits réservés)

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