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Casanova forever. Le Bal à Jau

Prélude à l’ouverture du Bal à Jau

Le Cas-A Nova vous a intrigué: ses contradictions, la liberté décapitée en même temps que son ambition, le jeu réitéré des mêmes enjeux. Lui, le fou du roi en quelque sorte, jamais ne fut la reine du bal.

Quoiqu’il en soit les visages restent collés aux masques qui n’autorisent à régler ses comptes que dans le temps imparti aux fêtes du dérèglement des lois et du bon sens, des convenances. Le temps de l’équivoque du carnaval rend invincible. Up-side-down, cul par-dessus tête. Celui de l’oeuvre, énigmatique mélange de force fragile et de séduction, parce qu’il échappe à toutes catégories, à tout classement dans les registres artistiques parfois étriqués, souvent péremptoires, vous rend vulnérable au regard de l’autre. Vous et vos mots d’esprit rapides ou scabreux.

Libertine quand il vous chante, vous refusez d’assigner une détermination unique, univoque aux êtres et aux choses. Indéfectiblement éprisede liberté, vous cultivez les surprises que réservent la porosité et la circulation des idées et des choses à la limite des «eaux troubles de la dérision et du scandale», limitant cyniquement la prise des risques de l’artiste à une défaillance de celui-ci dans son face-à-face avec support et surface, lignes et couleurs, coulures, tâches et traces.

À une fausse note, un désaccord dont lui seul perçoit le feed back. Sur le sol de l’atelier que vous occupez depuis quelques jours, je vais et je viens dans les allées étroites d’un labyrinthe de papier. J’enjambe la polychromie de la série «Circus». Je m’accroupis pour réunir en frise neuf variations du même titre: Kunstfreunde. Je découvre cette bottine délassée au pied de Sage, figure monumentale, sculpturale que nous avons surnommée Catherine.

Les alibis d’une référence à une histoire, la vôtre, d’autres, celles qui n’existent que dans les contes et légendes, dans les grandes mythologies ou l’imagerie populaire des almanachs d’antan, constituent autant de preuves par défaut qu’il serait vain d’invoquer pour vous dédouaner de vos larcins. Et si l’apparent foutoir dont on vous «accuse» n’était que l’héritage d’un chaos extravagant, imprévu, irrégulier? Celui du monde et de l’humanité, celui d’un grand art baroque constitué d’une inlassable, d’une interminable succession de chutes et de rétablissements, de circonvolutions autour d’obsessions bien singulières.

L’alternance de grâce et de défaillances, une pincée de légèreté nuancée de gravité masque le goût de certains ingrédients indispensables (mémoire personnelle ou collective), qui ne comptent plus pour grand-chose à ce stade. Sans vous voir, je vous regarde faire. Vous pratiquez l’art d’accommoder les restes. Vous raccommodez des gestes. Vous dépecez les peaux, vous disséquez les chairs. Sur un même sujet, vous déliez trait après trait l’écheveau de fulgurantes et énigmatiques intrigues. Vous entassez pensées sur pensées.

La forme poursuit ou suspend son tracé pour en renouveler l’élan. Poursuit son intention. Aucune tension n’est résolue. Courant après votre désir, attisant le mien, vous déroulez les lignes en quête d’une finalité sans fin, gagnant du terrain sur les anciennes béances blanches de la feuille. Votre dessin, dans ses pleins, ses failles et ses anfractuosités n’est que désir, ouverture, disponibilité, possible. Il est développement successif comme l’est l’écriture dans sa forme provisoirement close. Il a encore en commun avec elle, l’écart qui existe entre les notes et l’esquisse. Il n’existe que dans l’invention, le surgissement, dans l’advenir de la forme supposée.

Il ne jaillit de rien, si ce n’est de l’errance, départ et disponibilité, retour, renvoi de lui à lui-même. Relance et reprise d’une intensité de la ligne qui mue dans une écriture d’écolière appliquée, qui se fait voix dans les sonorités polyglottes que vous égrenez. C’est un trait contagieux qui se transmet par votre entremise d’un espace à un autre. Ah, le beau virus que voilà! La main informe, déforme. Les gestes reforment. On les sent réfléchis en même temps que lâchés, retenus.

Parfois, ils atteignent une précision chirurgicale qui fait froid dans le dos comme dans ce dessin réalisé au lendemain de votre arrivée ici: «Sans titre». Sous-titre: redressement pour bouquet de fleurs cueillies fanées, charnelles et sensuelles entailles de griffes noires et grises qui lacèrent la trame du papier.

Texte paru dans le catalogue de l’exposition «Casanova forever» (Commissaire: Emmanuel Latreille, directeur du Frac Languedoc-Roussillon).
Emmanuel Latreille et Jean-Claude Hanc (dir.), Casanova forever, Éditions Dilecta (Paris) et Frac Languedoc-Roussillon (Montpellier), juin 2010, 328 p.

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