Dans les dessins de Cameron Jamie, l’encre et le papier ont tissé une relation durable et exclusive, faite de contrastes et d’aimables politesses, l’un prenant alternativement le pas sur l’autre. De cette union naît une œuvre graphique qui semble constamment hésiter entre deux contraires : figuration et abstraction, ombre et lumière, sacré et profane… Si elle échappe tout d’abord à notre entendement, à la manière des écritures ésotériques, elle ne tarde pas à dévoiler le sens caché qui l’habite.
Derrière le chaos apparent des formes et des signes, un ordre règne et les éléments d’une iconographie se devinent peu à peu: visages, yeux, corps fragmentés ou sectionnés d’êtres humains et d’animaux, réseaux tubulaires évoquant une réalité anatomique — intestin, cordon ombilical. Superposés, reliés les uns aux autres dans d’étranges connexions, ils forment une multitude de monstres, dont on soupçonne l’origine cauchemardesque ou mythologique.
En réalité, cette imagerie complexe est empruntée à celle des contre-cultures marginales — Heavy métal, musique gothique —, et populaires — rites d’Halloween, combats de rue. Ainsi, par un travail de récupération et d’absorption, Cameron Jamie intègre à ses dessins toutes sortes de «diableries» : pieds de bouc, squelettes, pattes d’araignée, crânes et oiseaux de malheur, dignes héritiers du cinéma d’horreur et des cultes sataniques.
Le masque, instrument de dialogue avec les puissances occultes et figure récurrente dans le travail de l’artiste, est un rappel des déguisements portés par les catcheurs lors de leur prestation ou par les enfants pendant Halloween — celui, par exemple, du psychopathe Mike Myers dans le célèbre film de John H. Carpenter.
Mais il renvoie aussi, par sa forme, à certains masques funéraires Aztèques, et plus particulièrement à celui du dieu Quetzalcóatl conservé à Londres, révélant ainsi la dimension rituelle et primitive de cette «low culture».
Dans sa technique, Cameron Jamie interroge le faire de l’artiste. Contrastant avec la qualité supérieure du papier et le caractère élitiste de l’encre — dont l’utilisation était, en Chine, réservée aux lettrés —, le trait est volontairement maladroit, comme s’il était le résultat de la plume tremblotante d’un écolier. Les tâches, bavures, éclaboussures et autres imperfections trahissent une esthétique de l’échec et de l’amateurisme.
Épousant en partie la cause de ses aînés de la Bad Painting, il élève la salissure au rang d’art et va, à la manière de Dubuffet, jusqu’à écorcher le papier, qui garde l’empreinte destructrice de sa plume.
En dépit de cette maltraitance occasionnelle de la matière et d’une imagerie aux accents apocalyptiques, les dessins de Cameron Jamie sont comme débarrassés de leur violence initiale. Fruits d’un regard sociologique et introspectif, dépositaires du rite en tant que fait social — codifié et marqué par la répétition —, ils atteignent une certaine neutralité.
En ce sens, l’artiste se rapproche de l’anthropologue, sur la lignée de son compatriote Mike Kelley avec lequel il collabore un temps. Mais il fait aussi figure d’anthropophage, se nourrissant des mythes de la société contemporaine, digérant ses excès et ses dérives. On serait même tenté de prêter à l’œuvre un pouvoir d’exorcisme, une force libératrice, capable de nous affranchir des démons et des monstres produits «par le sommeil de la raison», tels qu’ils assaillent le dormeur dans les Caprices de Goya…