Maïder Fortuné
Carrousel
Invitée par le Frac Languedoc-Roussillon à réaliser une exposition personnelle durant l’été 2015, Maïder Fortuné a choisi de présenter deux œuvres qui, comme toujours dans son travail, mettent en jeu l’apparition autant que l’effacement du visible.
Carrousel (2010, Coll. Frac Languedoc-Roussillon) est un lent travelling circulaire explorant l’intérieur d’une maison. Passant et repassant à plusieurs reprises et à des distances différentes devant les personnes et les objets, ou encore le long des murs liant et séparant les salles, la caméra enregistre l’espace visible dans un «flou» presque permanent. Celui-ci est seulement ponctué par des moments de courte netteté, lorsque la caméra, comme par inadvertance, semble rencontrer quelque chose «à bonne distance».
Ainsi, le spectateur dérive dans un flux plus ou moins lumineux, sans possibilité de fixer longtemps son attention sur ce qu’il perçoit. On pourrait dire que Carrousel privilégie la «vision périphérique», cette perception non maîtrisée du réel qui accompagne toujours l’enregistrement visuel du monde. Ou plus exactement, ce film chercherait à inverser le rapport de priorité entre «prise» et «déprise», donnant à la part incontrôlée du regard et de l’(in)conscient la prépondérance que nous attribuons le plus souvent à la vision centrale.
Pour cette exposition au Frac, Carrousel est projeté sur un mur de près de dix mètres, permettant au spectateur une distance choisie avec l’image, et un rapport d’implication physique changeant par rapport au «trouble» proposé…
Maïder Fortuné présente également une Å“uvre nouvelle. Intitulée Parnassius mnemosyne, cette pièce reprend le thème de la vision et de la mémoire en faisant appel à un extrait de l’autobiographie de l’écrivain Vladimir Nabokov, dans lequel ce dernier évoque sa recherche d’un papillon rare… L’œuvre s’appuie sur le fait que cette autobiographie a été écrite d’abord en américain, sous le titre Conclusive Evidence, puis «traduit» par l’auteur, mais en réalité substantiellement modifié, en russe (sa langue maternelle) avant d’être retraduit par lui-même en américain sous un nouveau titre: Speak, Memory.
L’extrait repris par Maïder Fortuné est un passage dans lequel Vladimir Nabokov évoque un souvenir d’entomologiste le renvoyant à son enfance. Sur les deux versions du texte, l’artiste projette deux films colorés, faisant écho à une particularité de l’écrivain: sa synesthésie, «trouble» qui consiste à accompagner la lecture de certaines perceptions colorées. Une photographie en noir et blanc montrant les mains de Vladimir Nabokov manipulant le papillon de ses souvenirs, fera face aux flux colorés projetés sur les textes au mur…
L’articulation des deux œuvres semble de nature à accentuer l’épaisseur «mémorielle» de Carrousel. La relation au texte est essentielle dans beaucoup d’œuvres de Maïder Fortuné, ce qui n’était pas le cas pour ce film sonore mais foncièrement «silencieux». Quelque chose comme un écran de mots viendra se mêler aux sensations colorées, renvoyant elles-mêmes à un chatoiement de la lumière, embuant les images de quelque profondeur inattendue.