Kazimir Malévitch, François Morellet
Carrément
La galerie Kamel Mennour présente l’exposition Kazimir Malévitch et François Morellet «Carrément». Les relations de François Morellet avec l’oeuvre de Kazimir Malévitch sont à la fois on ne peut plus ambiguës et néanmoins carrément explicites. L’on pense bien sûr aux deux grandes «intégrations» de F.M. dans l’espace public, Le Fantôme de Malévitch, sur la façade du Musée des beaux-arts de Chambéry, en 1982, Le Naufrage de Malévitch, au bord de l’étang du Domaine de Kerguéhennec, en 1987. Plus que tout autre chose, c’est en effet le carré que les deux artistes ont en commun. F.M. évoque ce «mariage d’amour (forcé) qui a lié à jamais ce quadrilatère conformiste à tendance transcendantale à un artiste incroyant à tendance frivole». Car si dès 1952 F.M. a opté pour des toiles de format carré c’est plus dans le cadre de sa «recherche inexorable et systématique qui peut se résumer à : «Comment en faire le moins possible», que par amour pour cet «armoirie de l’Absolu» que constitue le fameux Carré noir de K.M. de 1915.
«Carrément», tente de mettre en perspective ce paradoxe, par un choix d’oeuvres des deux artistes, qui relativise du même coup cette différence de point de vue. En 1915, Kazimir Malévitch termine sa période «alogique» (dite aussi transmentale/ zaoum) et inaugure sa période «suprématiste». Le caractère drolatique de ses oeuvres alogiques est flagrant. S’y exprime un humour corrosif dans l’esprit de Gogol. Ainsi le carré dessiné dans lequel il écrit: «Bagarre sur le boulevard» n’est pas sans évoquer le fameux «Combat de nègres dans un tunnel, la nuit», d’Alphonse Allais, une des références majeures de François Morellet.
F.M. aime à souligner que Strzeminski considérait les carrés de K.M comme des «portraits». «Rappelons d’abord que ses portraits satyriques du quadrilatère ne couvrent qu’une faible période, elle-même précédée et suivie de peintures normales. Quel humour, quelle férocité dans ces carrés mutilés !» F.M. a bien sûr vu (et même vérifié) que les carrés de K.M. ne sont pas carrés. Le Quadrilatère en extension de 1915, présent dans l’exposition, confirme cette réalité.
C’est avec la même douce ironie que Morellet pointe la «malice» de Mondrian, «dénaturant parfaitement des tableaux carrés en les transformant en losanges grotesques». C’est donc très logiquement, que Morellet s’inscrit «dans cette prestigieuse lignée des ennemis du carré». Car si les carrés de Morellet sont absolument carrés, à la différence de ceux de Malévitch, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont jamais, chez lui, présentés dans une position sacrale, mais toujours, soumis aux aléas du contexte (le plus souvent bancal) d’exposition (3 carrés: le 1er incliné à 90°, le 2e à 75°, le 3e à 60° avec leurs côtés supérieurs rectilignes).
La série «Sous-prématismes» de François Morellet fait explicitement référence aux trois oeuvres emblématiques de l’artiste russe de 1915 (la croix, le cercle et le carré). En jouant seulement avec leur relief, des tubes de néon blanc renforcent le caractère spectral des figures géométriques, ces «icônes» de la modernité.
L’approche de Morellet nous permet peut-être de considérer les oeuvres de Malévitch d’une manière moins absolutiste, voire moins religieuse, que ce que l’on veut bien généralement en dire. (K.M. n’a t-il pas écrit La paresse comme vérité effective de l’homme?). Du même coup, les oeuvres de Morellet ne nous paraissent-elles pas moins «frivoles» que ce que lui-même veut bien nous laisser croire?
critique
Carrément