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Carolyn Carlson

Si Carolyn Carlson a révolutionné la danse française des années 1980, entre improvisions et poésie, elle marque désormais la nouvelle génération de danseurs de son enseignement. Une rencontre avec le "maestro" au sein même de l’Atelier de Paris, qu’elle dirige depuis 10 ans en parallèle du Centre chorégraphique de Roubaix.

A notre arrivée à l’Atelier de Paris, l’atmosphère est enjouée et pétillante. Les danseurs prennent le temps d’un déjeuner avant les portes ouvertes de l’après-midi. Carolyn Carlson, dont l’actualité foisonne à Paris, entre deux spectacles accueillis au Théâtre national de Chaillot, une performance pour la Cité de l’Architecture et d’autres surprises, nous accorde 
une interview sensible et généreuse, consciente de son rôle de « maestro » pour une jeune génération dont elle estime la vitalité.

Juliane Link. Quelle relation entretenez-vous avec l’enseignement de la danse?

Carolyn Carlson. J’adore enseigner. J’ai été formée auprès d’Alwin Nikolaïs, à New-York. Il a toujours travaillé avec 4 concepts : le temps, l’espace, la forme et le mouvement perpétuel. Ce sont restées les notions fondamentales de mon travail. Bien sûr, ce que je propose est différent, mais je me réfère encore à ces mêmes bases. J’appelle cela « travailler sur l’éternité».
Dans la pratique, l’exercice prend 20 minutes : nous allons jusqu’à l’éternité puis nous revenons… Au cours de cette masterclass, après quelques jours de travail, nous avons partagé, les élèves et moi, un ressenti extrêmement fort, vécu un instant suspendu pendant lequel plus personne n’était capable de parler. Nous expérimentions ensemble un moment d’éternité ! Quand je suis rentrée chez moi, j’ai eu envie de réaliser une chorégraphie et d’écrire un poème. C’était tellement puissant que je devais le partager, redonner cette expérience aux danseurs avec lesquels je l’avais vécue.

L’atelier Carolyn Carslon organise des résidences, des ateliers et des Masterclasses depuis 1999. Vous vous êtes volontairement inscrite dans une démarche de transmission de la danse. Que cela signifie-t-il pour vous?
Carolyn Carlson. Pour moi, c’est très important que la nouvelle génération puisse suivre des cours avec les meilleurs enseignants. Des chorégraphes tels que David Zambrano, Benoit Lachambre, Dominique Mercy ou Peeping Tom viennent enseigner ici, à Paris. Cela permet de créer un point de convergence et des rencontres avec les danseurs. Nous avons des étudiants français, italiens et suédois, ce qui est lié à mon parcours dans ces trois pays. Ensuite, il y a ce moment très intense, tous les deux ans, le « June Event », qui permet de montrer de nombreuses créations et des travaux de chorégraphes en résidence ici.

De quelle manière la danse se transmet-elle, selon vous?
Carolyn Carlson. Il est impossible d’apprendre la danse dans un livre. Cela se passe uniquement au travers d’une transmission physique et sensible. Les élèves comprennent dans la pratique comment lever un bras dans l’espace. Nous évoquons ensemble ce qu’est l’espace et de quelle manière nous pouvons inscrire le mouvement dans une poésie de l’espace. Chaque mouvement est un poème. Il ne s’agit pas simplement de lever le bras et de voir ce qu’il se passe. Il s’agit de lever le bras pour la première fois. Et quand vous parvenez à expliquer cela aux danseurs, quelque chose se produit en eux. Cela devient quelque chose d’essentiel à leur intériorité. Je pense que si vous avez cette énergie, si vous pensez de cette manière, vous le transmettez ainsi au public et à vous-même.

Que recevez-vous de ces jeunes danseurs?
Carolyn Carlson. L’expérience des jeunes danseurs est pour moi toujours très enrichissante. C’est incroyable de voir la lumière qu’il y a dans leurs yeux. Pour moi, c’est la preuve que j’ai réussi à communiquer quelque chose qui a de la valeur pour eux. Mais, cela ne tient pas à moi. Je suis seulement le moyen par lequel ils expérimentent l’éternité, je suis un médium. Il est possible de voir le chemin que chacun parcourt. Ils rejoignent l’énergie cosmique qui relie l’ensemble des êtres humains. En voyant ce qui se produit dans cet espace, chaque danseur n’est plus ni inconnu, ni seul, mais il est relié avec le tout. Je parle aussi du yi-king et de l’équilibre avec la nature et les éléments. Il s’agit finalement de moment d’expansion de conscience. Cela n’est pas uniquement physique. Nous savons d’où vient la danse, elle vient de notre imagination. En réalité, il n’y a pas d’espace, il n’existe que parce que nous le créons par ces moments d’implosion et d’explosion, dans l’attente du surgissement de la magie.

Plus généralement, de quelle manière considérez-vous votre travail?
Carolyn Carlson. Avant tout, je me considère comme une performeuse, enseignante, chorégraphe, poète, et je peins aussi. Toute mon existence consiste à ressentir avec l’art. Mon travail est basé sur la poésie, poésie du geste et du mouvement. Je partage cette vision avec Anselm Kiefer, qui est l’un des artistes contemporains que j’apprécie le plus. Il relie en permanence son œuvre plastique à la poésie. Je travaille avec l’abstraction, à partir des quatre concepts déjà évoqués, et à partir de la respiration. Les danseurs doivent maîtriser d’abord les principes vitaux, et ensuite, ils peuvent aller naturellement vers la poésie, mais durant ce trajet, ils vont explorer le rythme, le déplacement, la relation à l’autre. Une dimension essentielle de notre présence est celle de notre verticalité, l’être humain étant naturellement inscrit entre ciel et terre.

Dans Blue Lady Revisited, actuellement au Théâtre de Chaillot, vous offrez votre solo mythique, écrit en 1983, au chorégraphe Tero Saarinen. Pourquoi l’envie de cette transmission?
Carolyn Carlson. J’ai choisi de transmettre cette chorégraphie à Tero Saarinen − qui n’est pas seulement un très grand chorégraphe, mais aussi un très grand danseur − car pour moi, il était LA personne qui pouvait reprendre cette pièce. La manière dont je partage cette création avec lui est unique, il est comme un fils spirituel pour moi, il est lié à mon âme. Nous partageons de nombreux points communs : bien sûr nos origines finlandaises, mais surtout tout un ensemble de  visions du monde. Il aime Karl Jung, s’intéresse à l’ésotérisme et nous pouvons parler de philosophie. L’autre interprète, Jacky Berger, qui reprend également ce solo est tout à fait différent. Il est incroyable également. Il fonctionne à l’instinct. Il est absolument exceptionnel dans une dimension très animale de l’être. Le travail de chaque danseur est unique.

Concernant votre autre création présentée au Théâtre de Chaillot la semaine prochaine, Eau, pouvez-vous nous parler de votre démarche?
Carolyn Carlson. Pour parler de mon travail, je peux d’abord dire que j’improvise énormément avant de créer. J’ai les idées, mais je fais des kilomètres d’improvisation avant de choisir quelque chose pour une pièce. Pour Eau, il a fallu deux semaines d’improvisations avec les danseurs avant que je fasse quoi que ce soit.
Je laisse toujours un espace ouvert au rêve, à l’imagination de chacun. Je pense que si vous touchez quelque chose de profond et que vous le partagez, tout le monde peut participer à la création de ce moment et s’exprimer librement. C’est dans ces espaces intermédiaires que prend naissance l’essence de mon écriture chorégraphique. Pour la pièce Water, les personnes venaient me voir et me disaient : « J’ai ressenti cela » me décrivant leurs émotions et je répondais : « Oui, tu as raison » car je crois à l’authenticité et à la force de tous les ressentis.

Quel type de collaboration s’est mise en place avec l’artiste-cinéaste Alain Fleischer pour ce projet?
Carolyn Carlson. Alain Fleischer a eu une importance considérable dans la conception de la scénographie, c’est sur son idée que nous avons choisi de mettre un bassin d’eau sur le plateau. Il a également réalisé cette sorte d’abstraction de l’eau grâce à une installation lumière tout à fait étonnante. La pièce est découpée en cinq parties : l’eau primale et originelle, matrice de la vie ; les eaux profondes liées aux rêves ; les eaux puissantes qui s’incarnent dans la force de l’océan ; les catastrophes écologiques, la sècheresse ; et les eaux pures, apaisées et sensuelles, comme celles des bains initiatiques. Pour la quatrième partie, qui aborde les questions de la pollution de l’eau, il a réalisé un film extraordinaire qui se passe à New York durant les années 80, dans lequel il donne à voir des tas d’ordures et de déchets (…) La musique de Joby Talbot accompagne de manière très forte ce moment.

Vous avez emprunté ces cinq thèmes à l’ouvrage L’eau et Les Rêves de Gaston Bachelard. En quoi cet écrivain constitue-t-il une source d’inspiration pour votre travail?
Carolyn Carlson. Pour moi, il s’agit d’un écrivain incroyable. Quand j’ai commencé à travailler en France, il y a quelques années, un de mes amis, qui étudiait Gaston Bachelard, est venu des Etats-Unis. A l’époque, nous commencions à travailler avec les 4 notions de temps, espace, forme et mouvement perpétuel. Nous menions un atelier avec des Français, qui ne parlaient pas très bien anglais, et ces notions semblaient très abstraites pour les danseurs. Mon ami m’a alors conseillé de travailler à partir de Gaston Bachelard et de son ouvrage intitulé La Poétique de l’espace. Une fois que les danseurs ont été connectés à certains mots de Bachelard, ils ont pu expérimenter les notions que je cherchais à enseigner. Cela a été incroyable.

Comment avez-vous choisi de faire appel à Joby Talbot pour la musique?
Carolyn Carlson. J’ai l’habitude d’utiliser des musiques originales pour mes pièces. Je connaissais l’oeuvre de Joby Talbot depuis longtemps et je lui ai demandé de réaliser la musique pour ce projet, ce qu’il a naturellement accepté. Nous avions prévu un orchestre de 50 musiciens. Cependant, la pièce est maintenant jouée avec un enregistrement de la musique, pour des questions financières notamment.

Qu’est-ce qui vous nourrit intérieurement?
Carolyn Carlson. Pour moi, tout vient de la même source. Je suis quelqu’un de mystique et je suis aussi un poète. Je cherche à ouvrir l’imaginaire, que ce soit pour les publics, les danseurs avec lesquels je travaille ou les danseurs avec lesquels je réalise ces Masterclasses. Je crois à la dimension créatrice de chacun. Cela vient sûrement de ma grand-mère. Elle vivait en Finlande. Il s’agissait d’une personne très ordinaire, mais elle m’a transmis une quantité de choses, elle m’a appris comment cuisiner, comment coudre, et de manière extrêmement créative. Elle a beaucoup influencé ma manière de percevoir le monde.

Vous aimez beaucoup la culture japonaise. De quelle manière vous a-t-elle influencée?
Carolyn Carlson. A New York, j’ai découvert le bouddhisme asiatique. Je ne dis pas que je suis bouddhiste, mais je m’intéresse à cette philosophie. L’idée du zen est très pure. Elle comprend la nature intrinsèque des choses et accepte ce qui est. Je me suis inspirée de cette dimension là. Par la suite, j’ai découvert la calligraphie. Vous savez, travailler avec la main est un geste qui vient du cœur. La calligraphie permet un geste qui n’est pas permanent, mais qui a une forme de permanence. Je travaille aussi avec ces concepts dans mes Masterclasses. Je demande aux danseurs de réaliser une calligraphie dans l’espace et de laisser une trace.

Avant de nous quitter, quelques mots sur votre parcours chorégraphique. Que vous a apporté la France dans ce parcours?
Carolyn Carlson. Des questions et d’autres réponses liées à la culture et à la langue. La langue anglaise est sûrement plus abstraite et plus directe que la langue française. Au départ, cela a été surprenant pour moi. La culture ici rend les personnes moins spontanées. Aux Etats-Unis, si Alwin Nikolaïs disait « On saute par la fenêtre ! », alors tout le monde sautait sans se poser de questions. En France, non. Dans les masterclasses, je remarque souvent que les français ont un besoin nécessaire de questionner. Ici, les enfants grandissent en apprenant à interroger les choses. Par exemple, la question la plus classique que l’on pose aux Etats-Unis est « Qu’est-ce que tu fais ? » ; alors que la question en France est plutôt « Qui est-tu ? ». Je trouve cela très intéressant, il s’agit d’une interrogation plus personnelle à chacun. Je me suis posée des questions ici que je n’avais jamais envisagées quand je vivais aux Etats-Unis. Cette différence dans les mentalités m’a poussée à me livrer plus profondément et à raconter le cheminement de ma réflexion, parce que les gens demandaient à comprendre. Ce processus m’a amenée à l’écriture.

Vous vous référez souvent à Alwin Nikolaïs, comme un maître. Quel rôle pensez-vous joué, en tant que maître à votre tour, auprès des nouvelles générations?

Carolyn Carlson. En Italie, on m’appelle « Maestro ». J’aime bien ce terme de « Maestro » ! Pour moi, cela vient de la générosité que m’a transmise Alwin Nikolaïs dans son enseignement de la danse. Ce que j’ai appris, j’ai voulu le transmettre à mon tour, à ma façon. Susan Buirge, qui a enseigné aussi à l’Atelier, ou Simona Bucci, qui travaille en Italie ont aussi appris d’Alwin Nikolaïs ; mais la manière dont elles le transmettent a pris une autre direction. Je trouve cela très riche aussi, que le même enseignement ait pu donner lieu à toutes ses formes. Je pense qu’au cours de mon parcours chorégraphique, j’ai planté de nombreuses graines qui ont germées en Italie, en France, et en Finlande. J’ai permis une révolution dans les années 70. J’étais une instigatrice de la danse contemporaine. En Finlande, il m’appelle la grand-mère de la danse contemporaine finlandaise !

— Théâtre national de Chaillot, 10-13 mars 2010, Carolyn Carlson, Blue Lady Revisited.
— Théâtre national de Chaillot, 18-20 mars 2010, Carolyn Carlson, Eau.
— La Cité de l’architecture et du patrimoine, 13 mars 2010 (18h), Carolyn Carlson, Poetry Event, avec Juha Marsalo, Simon Bellouard, Sarah Orselli et un musicien.
— Musée du Louvre (Aile Richelieu), Les Nocturnes, 26 mars 2010, 19h, Carolyn Carlson, Events improvisés pour 8 danseurs du CCN de Roubaix et chorégraphies pour 10 danseurs du Conservatoire de Paris.

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