Interview
Par Gérard Selbach
Carole Brand signe sa première exposition personnelle intitulée « Après-vous », du 12 avril au 21 mai, à la Galerie du Haut-Pavé, à Paris, une association qui depuis 1952 a pour vocation de découvrir et de faire découvrir les jeunes artistes représentatifs des différents courants de l’art contemporain. On compte notamment parmi les premières expositions personnelles à Paris, celles d’Arman en 1956 et d’Ange Leccia en 1980.
Née en 1973 et diplômée de l’école des beaux-arts de Toulon et de l’Ensba-Paris en 1999, Carole Brand présente son travail en 1997 à Toulon lors des « 10 jours de l’art contemporain en France », puis en 2002 à Paris dans deux expositions collectives : « Comme un lieu commun » dans la galerie Saint-Germain de l’université Paris 5 et « 104 Murs » à la galerie éof. En 2003, elle expose aux Vitrines du MaMaC de Nice et à la galerie Alain Le Gaillard à Paris. Enfin, en 2004, elle est invitée à participer à l’exposition A vendre à la galerie Interface de Dijon.
Elle produit des œuvres de différents médiums : céramique, dessin, aquarelle, vidéo, photographie et son.
Gérard Selbach. Cette exposition à la Galerie du Haut-Pavé est votre première exposition personnelle, et de plus, elle a lieu à Paris. Quelle impression cela fait-il ?
Carole Brand. C’est une grande satisfaction. Une façon de prendre mon indépendance, de trouver mon propre cheminement et épanouissement puisque, auparavant, je participais à des expositions collectives qui imposent, d’une certaine manière, des contraintes et des limitations.
Vous poursuivez et affinez ici certaines pistes que vous avez explorées précédemment.
J’ai essayé de faire le lien entre tout ce que j’avais présenté. Mais il s’agit aussi, pour moi, d’explorer les possibilités d’un nouveau médium, la vidéo, et de travailler avec ce nouvel outil pour mieux parler du volume et de la trace, de mieux relier la sculpture et le dessin. J’ai découvert que ce médium me permettait de transcrire différemment cette expression, de fusionner les deux aspects, de parvenir à une synthèse des deux à la fois, en somme. J’ai d’autres projets vidéo sur le point d’être montés qui reprennent cette proposition.
Vous pratiquez vous-même les diverses phases de la réalisation ?
Oui, je filme et fais le montage. Dans cette vidéo, D’un coin percé, je voulais que le regard se porte sur le bleu du ciel. Il y a ce rapport à la peinture, en pensant à Fontana, ce trait blanc qui coupe et sépare deux plans. La manière dont j’ai filmé est très picturale. Le bleu est très pur, c’est la réalité sans éclairage, ni travail sur la couleur. Je voulais cet aspect naturel et neutre du ciel, sans retouche, le bleu du ciel de Villefranche-sur-Mer.
On retrouve là aussi le thème des traces, comme dans la pièce Après-vous qui donne le titre de votre exposition.
Je souhaitais, en effet, que le titre de l’exposition reprenne le nom de cette pièce. C’est une invitation à venir voir cette exposition, ainsi que les suivantes. Il y a toujours quelque chose après, et puis je voulais mettre en jeu le spectateur, le faire participer, le faire actionner le gonfleur avec son pied afin que son propre pied soit imprimé et qu’il s’inscrive en creux à la surface du latex. Je voulais ce rapport étroit, cette implication, cette interaction avec les pièces de l’exposition.
Dans certains de vos travaux, on retrouve cette association d’apparition et de disparition, du plein et du vide…
J’aime révéler cette association des contraires, du négatif et du positif, de l’intérieur et de l’extérieur, du dessus et du dessous, dans l’eau ou dans le ciel comme dans la vidéo. Il faut du temps au spectateur pour prendre conscience qu’il s’agit de traînées d’avions dans le ciel. Au départ, je joue sur le flou et sur cette ambiguï;té. On ne découvre qu’il s’agit de traînées laissées par des avions dans le ciel que par la netteté de l’image. J’ai voulu jouer sur cette sorte de souffle qui remonte, sur la fragilité, l’apparition et la disparition du trait.
Une idée que vous explorez également dans les quelque huit aquarelles (Sans titre, 2005) que vous exposez ici.
En effet. Elles ont été réalisées d’un coup de pinceau, un seul trait, un seul geste, aucune retouche, comme la trace de l’avion. Ces dessins complètent le geste. Quand Fontana coupe sa peinture en deux, ce geste est radical. Il sépare les deux plans. Le fait que j’utilise l’aquarelle, renforce la légèreté tout en exprimant la brisure, la coupure. Il en est de même avec la pièce qui s’appelle Stalacvites, un jeu de mots entre stalagmite et stalactite. Ces pointes de céramique blanche collées au mur expriment la verticalité et la fragilité. L’éclairage donne au mur une impression de matière cotonneuse qui attire et donne envie de toucher, mais les piquants acérés nous en empêchent.
Dans mon travail, j’essaie d’exprimer cette relation entre le dur et le doux, un rapport entre le violent, l’agressif et le délicat que j’avais déjà tenté de rendre dans « 104 Murs 7, en 2002, à la galerie éof. Le spectateur découvrait dans l’édition, une carte. Lorsqu’il l’ouvrait, il provoquait un son de verre brisé. J’incitais le visiteur à faire le geste d’ouverture de la carte. Il n’avait pas forcément le choix, et pourtant ce geste, dont il était responsable, cassait le verre. Dans la proposition présente, je crée une frustration chez la personne qui va s’approcher des « stalacvites ».
Comme la frustration de ne pouvoir saisir les bulles de savon qui éclatent quand la main les touche, et qui se trouvaient au-dessus de cactus dans votre installation aux Vitrines du MaMaC de Nice en 2003.
Ce qui m’intéressait également dans cette proposition, c’était que, lorsque l’on fabrique des bulles, le souffle crée d’abord un volume, puis un dessin et un plan en éclatant sur le papier. Cette transformation de volume en plan fait partie de ma recherche. Je me dirige dans cette direction : une sculpture qui devient plan et dessin à la fois. Comme dans la pièce Après-vous.
Quand vous concevez votre pièce, partez-vous du volume pour aller au dessin ou vice-versa ?
Je pense aux deux à la fois. Ils sont liés comme dans la vidéo qui m’a permis de synthétiser les deux : le volume de l’air et de la traînée dans l’espace qui devient un trait sur un plan bleu qui est construit grâce à ce volume. J’aimerais que, dans cette exposition, les visiteurs sentent cette logique dans les diverses techniques et médiums utilisés. Claire Nédellec, pour le texte de la plaquette de l’exposition, évoque « un travail polyforme » : le dessin, la sculpture, l’aquarelle, la céramique et la vidéo, chacun à sa manière m’a permis de concentrer, de jumeler le volume et la trace.
Vous venez d’évoquer la céramique. Qu’en est-il des Contamines exposées dans la vitrine ?
Il s’agit d’une série de céramiques gris clair, des calottes sphériques comme des bulles émergeant d’un liquide en ébullition en forte concentration d’un côté, et se dissipant peu à peu de l’autre côté.
L’émergence est également un de vos axes de réflexion.
Oui, par exemple, dans l’exposition « Regarde-moi » dans la galerie Alain Le Gaillard en 2003. J’avais réalisé des « masques » en céramique qui couvraient, puis révélaient un visage caché. Ou encore pour l’exposition « A Vendre », sur une proposition de Maribel Nadal, à la galerie Interface à Dijon qui est une sorte de galerie-appartement. Là , j’ai réalisé une installation sonore in situ. Dès l’entrée dans la galerie, un son questionne le spectateur qui est attiré vers le fond de l’appartement. Derrière une porte fermée à l’entrée de la cave, celui-ci entend un bruit de goutte-à -goutte régulier, comme s’il s’agissait d’une fuite d’eau. Le visiteur, dans son parcours d’exposition, découvrira seulement plus tard la source de l’installation sonore, visible dans la salle de bain : un petit micro est placé à proximité d’un robinet mal fermé et relié par un fil jusqu’à la cave. Et, là aussi, il perçoit des gouttes — donc des volumes d’eau — qui, en tombant dans l’eau de la baignoire, dessinent des ronds, des cercles concentriques à la surface plane de cet autre volume d’eau. Le visiteur retrouve à la fois le volume du son — c’est-à -dire des ondes dans un volume d’air — et le volume de l’eau qui se transforme en un dessin, les cercles des ondes sur le plan d’eau.
On dit souvent que « le visiteur est co-créateur ». Est-il important pour vous qu’il donne la même interprétation de votre travail que la vôtre qui l’a initié ?
C’est vrai que, parfois, je lui laisse le choix de son interprétation et que, parfois je cherche à ne pas lui en laisser. Dans la pièce Après-vous, le visiteur est libre d’appuyer ou non sur le gonfleur, mais il y est fortement invité. Après tout, c’est tentant. Je cherche là à intégrer le visiteur, à le faire participer, c’est une pièce interactive. Mais, simultanément, la pièce que j’ai réalisée, que je donne à voir, ne m’appartient plus ; je pourrais aller presque jusqu’à dire qu’elle n’existe plus pour moi. C’est au spectateur de l’interpréter.