Les douze cadres des Black Drawing Series réalisés en 2006, sont accrochés sur les murs de la première salle. Trous noirs: on est interpellé au premier abord par l’absence de figuration. Rien ne semble arrêter notre regard. Intrigué, on s’avance pour observer de plus près cette obscure planéité. De fines lamelles découpées et collées se détachent sur un fond. Elles dessinent des corps étranges par leurs ondulations multiples.
Araignées à tête de mort, libellules, singes, femmes enceintes anthropomorphes, un bestiaire étrange se déploie. Il semble s’animer au rythme des sombres sinuosités monochromes. Une certaine inquiétude se dégage de ces images surréalistes.
Comme à travers un rêve aux accents cauchemardesques, les détails minutieusement incisés dans le papier, libèrent des monstres. Ils nous fixent de leurs orbites évidées et nous prennent à parti. Ces compositions arachnéennes emprisonnent le spectateur dans leurs filets. Nous sommes pris au piège.
Soudain, une musique angoissante attire notre attention dans la pièce voisine. L’obscurité devient totale. Elle nous entoure, nous immerge et ne laisse comme seule ouverture, qu’un écran de projection rectangulaire.
Fuite en avant: le film Useless Wonder, envahit l’espace et donne du mouvement à des compositions semblables à celles vues précédemment.
Elles s’animent au son d’une mélodie grinçante. De minces rubans blancs et roux ondoient à la surface et se superposent aux corps féminins en silhouette. Ces personnages anonymes, sans visages semblent se débattre pour échapper à ces mailles acérées.
Telle une toile tissée, les stries se multiplient et laissent s’échapper çà et là des singes aux crânes squelettiques. Courte pause: le blanc réapparaît. Il est bientôt infesté d’oiseaux noirs qui prolifèrent au premier plan pour s’éloigner petit à petit. Ils disparaissent enfin au creux de l’écran, créant ainsi une profondeur inattendue dans cette obsédante planéité.
La dernière salle, sous la grande verrière, semble nous offrir une perspective plus ouverte, un souffle d’air dans cette atmosphère oppressante. Les murs sont recouverts d’«affiches» présentant une fois encore des images similaires.
Les mêmes protagonistes sans pouvoir, héros déchus d’un conte fantastique, sont à nouveau pétrifiés, figés sur leurs supports. Les bandelettes qui les momifient, arborent des couleurs vives, fluorescentes.
Au sol, un puzzle fait de plaques de plastique noir mat, reconstitue la carte du monde. Les pays décomposés se répandent, s’étalent et nous obligent à longer les murs. Comme une marée noire, les continents se disloquent et laissent apparaître des failles. Le manque de relief et de différence entre toutes ces terres étrangères souligne-t-il la perte d’identité déjà présente chez les personnages inventés par l’artiste?
Va et vient, rotation inévitable: le regard est guidé tout autour de la pièce au rythme incessant des vagues colorées qui lacèrent les images. L’installation Broken Animals insuffle d’une tout autre manière, une cadence particulière à ces représentations fixes.
Ces illustrations issues d’une thématique propre à l’artiste mêlent l’extraordinaire et l’horreur. Ces archives numériques conçues depuis 2003 dans son studio d’animation au Mexique et imprimées sur papier, explorent le monde du divertissement. Carlos Amorales cherche à instituer sa propre imagerie comme nouvelle identité collective.
L’iconographie exposée ici joue sur le décalage et ouvre de nouveaux horizons. Elle interpelle le spectateur et le confronte à une grammaire plastique inhabituelle, loin des clichés tant de fois attendus.
Traducciòn española : Maïté Diaz
English translation : Margot Ross
Carlos Amorales
— Broken Animals, 2006. Sérigraphies et sculptures en aluminium. Dimensions variables.
— Manimal, 2005. Animation, vidéo projection. 5 mn 30.
— Red Rorschach, 2006. 4 vinyls. Dimensions variables.
— Useless Wonder, 2006. Installation vidéo. Double projection sur écran flottant. Dimensions variables.