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Cap au pire

Parce que MayB, tous pensent savoir que Maguy Marin chemine avec Samuel Beckett. Cette pièce devenue classique, qui s’attache les mots de l’auteur avec la scansion de son «fini, ça va finir, ça va peut-être finir». Une Å“uvre qui dit une affirmation politique de cette poétique de l’hésitation. On y trouve les couches qu’elle s’acharne à discerner, à détacher ou à mêler. Pièce de groupe, MayB souligne une communauté invisible qui, geste après geste, se détache de la boue originelle pour se diriger on ne sait où.

Cap au pire, que l’on pouvait revoir au Centquatre dans le cadre du Festival d’Automne, a été créée vingt-cinq ans plus tard. Une épaisseur temporelle, forcément pleine de travail, d’engagement, d’affermissement. Ici, la scène quasi nue, une pulsation de quelque chose dans l’obscurité, le corps qui suit la déclamation à voix blanche: l’engagement esthétique se place là. Savoir, comprendre la radicalité de cet Worstward Ho écrit en 1982, soit l’année suivant MayB, Maguy Marin le peut. Le rythme ternaire à l’Å“uvre dans les mots de Beckett permet ce reste de mouvement. Ce texte affirme un désir d’épure, un rétrécissement spatial radical. Par la litanie que constitue les phrases nominales mais surtout par un lieu qui se réduit au corps seul: «D’abord le corps. Non. D’abord le lieu. Non. D’abord les deux. Tantôt l’un ou l’autre. Tantôt l’autre ou l’un. Dégoûté de l’un essayer l’autre. Dégoûté de l’autre retour au dégoût de l’un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l’un ni l’autre. Jusqu’au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal.» Parce qu’il n’y a pas de lieu.

Dans les temps de faibles éclairages, Françoise Leick laisse apparaître ses tentatives, des tentations d’aller-retour. Le corps épuisé est capable de suivre le rythme des mots, encore. Le corps est capable parce quelque chose bouge, encore. Fragile mais d’une force indomptable, la danseuse suit au plus près la description incomplète que constitue le texte. Capable d’incarner l’impossible: «Tête inclinée sur mains atrophiées. Yeux clos écarquillés.» Obéissante, sous la voix de David Mambouch, elle avance, se couche, se relève, elle parcourt l’espace avec la marionnette de l’enfant mort «Dans la pénombre vide peu à peu un vieil homme et un enfant. N’importe quoi ferait aussi mal l’affaire.[…] Disparues les mains étreintes étreignant tant mal que mal ils s’écartent l’un de l’autre.[…] Dire l’enfant disparu. Tout comme. Hors vide.»

Cap au pire est un jeu sur le fil du désespoir. Le spectateur peine à discerner Françoise Leck tandis qu’il reçoit les mots de Beckett. Des mots-pierres, durs. Pourtant, la marionnette-enfant ne s’immobilise pas. Au creux du corps résiste une chose sublime et dégoûtante. Ça vit. Dans cette pièce, Maguy Marin constitue le Noir qui ne la quitte plus, un noir en réponse au temps et à l’espace. Le noir de Salves, de Faces, de Nocturnes. Un noir dans lequel retentit, répété, abîmé, distordu, troublé et toujours défendu en tremblant mais sans avoir peur, en ayant peur mais sans trembler un Ça quand même, un «Cependant je suis obligé de parler. Je ne me tairai jamais. Jamais.» Un indicible scénique, Innommable mais nécessaire.

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