Patrick Dekeyser
Cantique
Il y a dans «les portraits» réalisés par Patrick Dekeyser quelque chose de l’ordre de la mélancolie. C’est un peu comme l’histoire du clown triste. On attribue à Karl Valentin cet aphorisme disant que l’humour est la forme élégante du désespoir. Dans ses vidéos on se retrouve sur le versant de la vie où ce serait les petits désastres qui composent le paysage. On est plongé dans un monde où les projets, les rêves n’arrivent pas à se réaliser, les choses pas vraiment à se construire. Les personnages sont ici en position de faiblesse fondamentale.
Le comique, vient du pathétique du personnage ou même de sa désolation. Les altérations de la voix la théâtralisent. Elles délégitiment l’ambition des propos; et du coup produisent un décalage qui fait surgir le grotesque. Cela est accusé par la façon dont l’artiste substitue au visage du personnage d’origine son propre visage et lui confère par ses expressions une nouvelle identité. On serait en symétrie avec l’univers d’un Buster Keaton. À l’impassibilité psychologique de celui-ci s’oppose ici la mobilité plastique du visage. Le son et le visage sont communs au sérieux des propos. Les vidéos de Patrick Dekeyser nous placent sur le fil du rasoir entre burlesque et tragique. S’appropriant des personnes qu’il rencontre et fait parler, il se substitue à elles, s’en habite et essaye de rendre leur parfum, la saveur et le parfum de leur être, mais aussi quelque chose de presqu’indicible dans l’interstice entre la pensée et le sentiment.
Ce, à travers une gestuelle corporelle et des mimiques qui forcent légèrement le trait tout en évitant la caricature. Mais dans la vidéo qu’il présente, Cantique, c’est d’un portrait sans parole qu’il s’agit puisqu’au propos s’est substituée la musicalité d’un chant, celui de l’artiste vocaliste Claire Bergerault. Par la modalité de présentation qu’il a choisie, celle du polyptyque, il nous propose une transcription polyphonique d’un corps en donnant du sens par la tonalité pure et ses modulations.
Philippe Cyroulnik