David Lasnier
Can you fill it?
Cher David,
Déjà à l’époque du «Point à la verticale du centre de la Terre» (2010), tu commençais à m’inquiéter. Quelle mouche t’as piqué cette fois, de t’en prendre si directement aux mathématiques? Ne crains-tu pas qu’en te mesurant ainsi à ses lois et ses concepts, l’effort, considérable, ne tourne inévitablement à ton désavantage? Tu m’as depuis longtemps fait part de ton utopie d’un art libéré de l’exercice trop flagrant de la volonté individuelle, de ton souhait de substituer à l’arbitraire dégoulinant des pulsions expressives la souveraine et austère nécessité logique. Ambition qui te rattache d’ailleurs pleinement à une prestigieuse lignée d’artistes protestants. Mais là , excuses-moi, avec tes «chemins auto-évitants hamiltoniens sur une grille carrée», tu exagères!
Un grand gaillard comme toi ne devrait plus se laisser aller à de tels enfantillages, sous peine de révéler à un public sans protection une candeur trop obstinée, et de te voir directement rangé dans la catégorie des don Quichottes borgésiens. Tout le monde risque de sentir une disproportion certaine entre la mécanique pataude de tes gestes trop humains, et l’immensité rigoureuse, infiniment fluide et quasi-céleste de l’ensemble mathématique auquel tu confies justement de guider tes gestes!
Mon ami, fais attention: épuiser les possibilités d’un système jusqu’à épuiser son désir, aboutit au mieux à la jubilation zen de l’ultime détachement, au pire à la plus fade déprime à -quoi-bonniste. Le chemin est étroit. En revanche, je vois bien que dans ton labeur mécanique, tu retrouves sournoisement le plaisir de la variation du motif, le vertige ornemental, l’orgasme décoratif! Petit coquin!
David, franchement, au lieu de te fourvoyer encore une fois dans de si colossales, herculéennes entreprises, en même temps si dérisoires, en un mot sysiphéennes, tu ferais mieux de te remettre aux sudokus! Tu gaspilles ton temps, tu oublies de vivre, tu perds ta jeunesse, tout ça pour finir dans les galeries d’art contemporain ! Non vraiment David, ça n’est pas sérieux. Qu’en disent tes amis mathématiciens? Voient-ils d’un bon œil le déplacement que tu opère de leur domaine au nôtre? Comment perçoivent-ils tes superbes mires sombres, tes élégants échiquiers noirs, surfaces striées quadrillées glorifiant d’un éclair leur loi propre?
A moins qu’il ne s’agisse d’une manière particulièrement contournée de neutraliser ton propre égo artistique, en montrant ostensiblement qu’il n’y a rien à voir, en énonçant haut et fort qu’il n’y a rien à dire, rien d’autre que ce qui est. Si c’est le cas, je crois bien que tu arriveras un jour à devenir cet idiot souverain, en continuant à te lancer à corps perdu dans ce genre d’action obstinée et grandiose, condamnées au ratage et à l’incompréhension! Oui David, tu appartiens bien au type du «héros moderne», tel que l’a défini un jour Jacques Lacan: une figure «qu’illustrent des exploits dérisoires dans une situation d’égarement».
Combinatoirement
Boris Nicot
En collaboration avec le réseau marseille expos
Vernissage
Dimanche 2 septembre 2012