Il y a les crises individuelles, les délires, les transes de l’individu, et il y a ce que la communauté en fait. Le spectacle Animaux de béance, de la chorégraphe Camille Mutel, interroge ce processus et propose une place à la furie : sur scène, au creux d’un public. Trois corps, trois énergies, trois formes du désir et du débordement, avec la charge émotionnelle et érotique que cela implique. Sans s’en effrayer, Camille Mutel les met en scène, les donne à contempler. Il y a d’abord Mathieu Jedraza, performeur queer et contre-ténor puissant. Ensuite, la voix d’Isabelle Duthoit, au chant profondément corporel, proche du cri articulé. Enfin, la danse d’Alessandra Cristiani, imprégnée du butō et de ses ombres vibrantes. Un trio électrique, pour un spectacle de danse contemporaine à la fois sombre et chaud. Au plus près du souffle, pour mieux le couper ou le partager.
Animaux de béance : entre transe et danse de possession, Camille Mutel et le transgressif
En filigrane d’Animaux de béance affleure le souvenir d’une danse sarde : l’Argia. Dans un village, un homme se trouve soudain en proie à un état de confusion. Danse de possession, de transe ou de carnaval, se déploie alors une sorte de tarentelle rituellement transgressive. On y retrouve la piqure ou la morsure, et la confusion qui se propage, à mesure que le poison s’empare du corps. L’Argia (la bariolée) déborde et dévore la personne ainsi frappée. Les règles de bienséance se retournent pour laisser place au mélange des genres. Une possession pour mieux se réapproprier son corps. Animaux de béance vient ainsi déchirer l’ordre établi. Et les danseurs de Camille Mutel vont puiser dans les confins pour mieux ramener sur scène ombres et désirs indicibles. Ce qui ne s’exprime bien que par les voix rauques ou stridentes, les corps dé-chaînés, sinueux ou bondissants.
États de confusion et saturations sensorielles : la danse comme pratique de guérison collective
Jeux de masques et de travestissements, Animaux de béance invente son carnaval, tout en empruntant à Scarlatti quelques rythmes endiablés. Moment de catharsis, ou de guérison, la chorégraphie de Camille Mutel interroge aussi la place de la démesure dans le corps social. Si l’Argia s’empare de la confusion individuelle pour l’intégrer dans un rite signifiant collectif, quid des sociétés contemporaines ? Quelle place pour le possible débordement de chacun des membres ? De crises de nerf en passions hystériques : Animaux de béance ouvre un espace pour le transgressif. La nudité ne s’offusque pas d’elle-même : l’humanité, parfois, déborde et se dévêt. Si la cinématographie rode (de David Lynch à Stanley Kubrick), c’est pour mieux restituer toute sa puissance à la danse. Sur scène, de chair, d’os et de souffle, les danseurs de Camille Mutel déploient leur énergie. Pour un moment intense, à oser savourer collectivement.