La dernière apparition de Hedi Slimane à la galerie Almine Rech remonte à 2008. L’ancien directeur artistique de Dior Homme y montrait ses propres photographies et installations, de grandes compositions au souffle romantique qui tentaient de traduire l’esprit de la scène rock d’aujourd’hui. On l’avait laissé artiste, imprégné par un certain mysticisme esthétique, on le retrouve commissaire d’exposition inspiré par ses obsessions artistiques.
L’ordre a changé, le contenu est resté le même. Avec «California Dreamin», il réunit autour de lui dix-sept artistes de générations différentes, tous Californiens de cÅ“ur, pour contempler une Californie côté sombre, bien loin des flonflons de l’«Entertainment».
Peut-être la Californie dont il se sent le plus proche. Un territoire des paradoxes, à la fois délabré, violent et disposé à briller, à livrer sa fragilité. Avec cette dominante qui lui est chère et qui traverse l’ensemble de son Å“uvre plastique: le noir et blanc. Plus qu’un choix esthétique, c’est une détermination idéologique qui pousse Hedi Slimane à ancrer l’ensemble de l’exposition dans ce rythme binaire. Il le précise lui-même, ce sont «les symboles, les signes et les fragments, une sémantique réduite, en noir 
et/ou blanc, par la mémoire ou la mythologie intime ou au contraire publique et de propagande» qui servent de toile de fond à son exploration.
Un corpus assez vaste, riche des contrastes que portent ce territoire, aussi prolifique sur la scène culturelle contemporaine qu’il peut s’abîmer dans les tensions et les clivages sociétaux. La Californie compile une véritable histoire de la mythologie américaine, que les aînés convoqués ici par Hedi Slimane ont toujours su observer.
John Baldessari, Chris Burden, Bruce Conner, Dennis Hopper ont oeuvré à la lecture de cette story-telling vacillante, cet American Dream brisé par le rappel à la réalité. Le «cauchemar climatisé», comme le désignait Arthur Miller dès les années quarante a fait des petits parmi la jeune garde.
Aaron Curry, Mark Grotjhan, Mark Hagen, Patrick Hill, Joel Morrison, Sterling Ruby, Bobbi Woods, Aaron Young ont emboîté le pas de la critique et, derrière la génération intermédiaire, celles des Ed Ruscha, Raymond Pettibon, Jim Shaw, Mike Kelley à la tonalité plutôt pop, suggéré de nouvelles formes de résistance au «Mainstream».
Le noir et blanc sied parfaitement à cette observation souterraine d’une Californie à la fois sombre, élégante et rebelle. Au-delà cette heureuse concordance tonale, la réussite du projet d’Hedi Slimane réside dans le fait qu’il fait se croiser les artistes les plus conceptuels (les monolithes de McCracken, les toiles abstraites de Hagen ou encore la très sobre et très tendue installation de Patrick Hill) avec ceux qui ont su, ou qui savent, décrire la réalité des phénomènes de civilisation en mutation (Conner, Hopper, Pettibon, Morrison, Young).
Mythologies individuelles et collectives se rejoignent naturellement; fragments de gestes, de figures, de monuments et de références se croisent jusqu’à former un vocabulaire cohérent, «signifiant» la Californie, Los Angeles même, observée depuis le cÅ“ur de ses démons.
Hedi Slimane réussit à livrer ici une vision aboutie de «sa» Californie, à tel point qu’il est difficile de ne pas l’imaginer hanter toutes les Å“uvres exposées. Un commissariat d’exposition comme un portrait chinois.
— Ed Rusha, Sunset, 1999. Acrylic on linen. 50,8 x 60,9 cm (framed)
— John McCracken, Black Plank, 1972. Polyester resin, fiberglass and plywood. 242 x 46 x 4 cm
— Chris Burden, L.A.P.D. Uniform, 1993. Fabric, leather, wood, metal and plastic. 223,5 x 183 x 15,2 cm
— Patrick Hill, Midnight, 2011. Concrete, dye, ink, and acrylic paint on canvas. 152,4 x 111,8 cm
— Hedi Slimane, California Dreamin Coachella, California, 2009’ 2011. Fibre noire et blanche sur aluminium, cadre en bois. 81,28 x 103,5 cm (encadré)