De plain pied avec la rue, tout en transparence et en porosité avec l’espace public, le bâti en angle de la Fat galerie offre actuellement à la vue du passant la maquette d’un banc, ou le banc lui-même. Composé de cinq modules qui s’ajustent sans contact, Burnout Bench emprunte l’allure d’un mécano bien que ses pièces ne soient pas interchangeables. Anguleuse, sa structure dentelée acquiert rondeur et souplesse par l’accord des parties entre elles. En objet à la fois commun et singulier, il a l’assise du mobilier urbain et la plasticité d’une image 3D, la rudesse du métal aux soudures apparentes et l’apesanteur d’une constellation.
De la pénombre du sous-sol apparaissent cinq chaises aussi diverses que l’avatar d’un fauteuil Louis XV et l’enveloppe immaculée d’un iceberg, et pourtant générées par le même désir d’objets d’un seul tenant, le fantasme de volumes auto-engendrés. La main n’en est pas absente pour autant. Si les lignes virtuelles du mobilier de Julian Mayor naissent de l’outil numérique, leur créateur les réalise manuellement.
Il engage modestement, par la fabrication artisanale d’objets à caractère futuriste, la remise en circulation de notions prématurément allouées à des domaines circonscrits. A la conception informatique ne répond pas l’utilisation de matériaux issus des nouvelles technologies, mais une économie de moyens rappelant à l’usage commun. La référence historique d’un modèle rococo n’est pas suivie de l’ornement attendu, mais d’une stratification de lamelles contrecollées engendrant un relief plus paysager que décoratif, relevant de la maquette géologique plus que des courbes d’époque.
Le choix des titres vient souligner que le designer ne travaille pas en fonction des seuls pôles esthétique et d’usage. Contour, General Dynamic, Empress : il se rend attentif au mouvement des lignes, à l’instant où elles font passer la matière de l’indistinction à la génération d’un volume, à celui où l’usage naît d’une évidence et scelle finalement l’objet de l’empreinte de l’individu.
Dans le même espace, trois séquences vidéo à valeur d’esquisse sont projetées, dont la sourde activité anime la morphogenèse d’espaces modélisés. Le virtuel n’est pas pour Julian Mayor un en-soi : il ne doit pas céder au devenir lisse qu’on lui promet. Dans sa pratique, il est ce hiatus qui existe entre la fonction d’un objet et sa vie propre, l’interstice à investir entre sa stricte utilité et les possibles qu’il suppose en termes de production en amont, et d’usage en aval. Pour mieux l’interroger, la forme humaine en est absente, sinon contenue dans la fabrication et suggérée par l’assise des chaises : des halos de lumière accentuent l’effet d’apparition de ce mobilier fantomatique sans être déshumanisé.
En témoignent les ombres produites par ces véritables personnages, qui rappellent celles de Burnout Bench au rez-de-chaussée de la galerie. Elles y forment au mur des lignes de fuite séduisant le Wallpaper d’insultes de Kin-Wah Tsang, qui s’attache aussi à détourner les codes de nos modes d’habitation.
On regrette cependant la discrétion de ce papier peint singulier, qui contrairement à l’habituelle contamination des espaces qu’il investit, se contente de la forme-tableau, en simple clin d’oeil. Toujours est il qu’en écho à la double nature lisse et rugueuse des objets de Julian Mayor, son motif sériel tout en fleurs et en arabesques est répété au moyen artisanal de la sérigraphie, rendant son aspérité à l’indifférence qu’on accorde en général à notre environnement.
— Julian Mayor, Burnout Bench, 2007. Métal. 80 x 60 x 60 cm chaque partie.
— Julian Mayor, Contour, 2000. Métal. 80 x 60 x 60 cm.
— Julian Mayor, Empress, 2003. Bois. 80 x 60 x 60 cm.
— Julian Mayor, General Dynamic, 2004. Résine polyester. 80 x 60 x 60 cm.
— Julian Mayor, Impression Chair, 2002. Bois. 80 x 60 x 60 cm.
— Julian Mayor, Clone, 2005. Bois. 100 x 45 x 45 cm.
— Kin-Wah Tsang, Interior, 2003. Sérigraphie à la main sur papier peint. 47 x 1000 cm le rouleau.