Carlos Kusnir
Buenos Aires, Paris-Marseille
Il y a 42 ans, Carlos Kusnir quittait Buenos Aires pour un premier séjour en Europe. Il allait s’y installer définitivement à partir de 1979, d’abord à Paris, ensuite à Marseille. Son travail l’amène à des passages fréquents à Zurich. De sa ville d’origine, il a gardé l’art de faire d’un rien un petit monument de peinture, de pratiquer le mélange des genres et de jouer le mineur pour faire de l’art majeur.
L’importante exposition présentée au 19 Centre régional d’art contemporain se déploie entre la bidimensionnalité du tableau et la tridimensionnalité de l’installation. Entre l’image et le son qui donne un volume à la peinture. Elle est constituée essentiellement d’œuvres nouvelles réalisées suite à une collaboration étroite avec l’atelier Wolfensberger à Zurich. Ces œuvres font notamment appel à des éléments lithographiés et sérigraphiés.
Karlos Kusnir voit le tableau comme une forme suprême de l’indépendance. Une sorte d’ovni qui peut voyager et se déplacer d’un pays à l’autre. Un tableau peut être posé par terre ou collé au plafond. Il peut être regardé en faisant abstraction lieu dans lequel il est présenté. En tant que lieu commun, le spectateur est habitué à la forme tableau et regarde directement ce qui se trouve à l’intérieur.
L’usage de la lithographie permet à l’artiste de travailler sur une surface où il n’y avait plus de perspective. Très vite, il a fait appel à des traitements différents mais surtout de l’espace fracturé, un espace polyphonique. «C’est quelque chose de naturel en Argentine. Moi-même, je viens d’une famille ukrainienne. Chacun y débarque et c’est le mélange qui prévaut…Les critères plastiques ne peuvent pas être les mêmes qu’en France.»
Si la sérigraphie et la lithographie ont pris une importance telle dans la production de Carlos Kusnir c’est qu’il y a un élément matériel propre au procédé: les superpositions, les opacités, les transparences, mais il y a aussi la notion du temps. L’utilisation de couches différentes est un procédé que l’on retrouve également dans la lithographie. En lithographie, le résultat final correspond à l’addition de plusieurs couches. C’est un travail progressif, qui se passe dans le temps et qui demande de l’anticipation. Ce n’est pas seulement une histoire matérielle et technique.
A ce sujet, Pierre Wat notait «qu’il y a une dimension urbaine, comme si sa peinture était traversée par la réminiscence d’affiches à demi décollées qui ornent les murs des villes au point d’en devenir le décor. Mais là où ce sont le temps, le hasard et l’accident, qui décollent les affiches de nos cités, c’est la nécessité qui ordonne la pratique de Carlos Kusnir. Car ce qui semble bancal et léger est le fruit d’un faux hasard profondément maîtrisé, comme si l’artiste voulait donner à son œuvre l’allure d’un accident reconstitué. Ici, l’artifice joue à ressembler à la nature.»