LIVRES

Bruno Serralongue

Clichés de Faits divers pris « après coup », preuves d’une actualité médiatique surproductive déjà dépassée. Un flot d’images à résonances sociale et politique pour pointer la « société du spectacle » et redonner leur dimension humaine et leur visibilé aux lieux et aux acteurs ainsi surexposés.

— Éditeurs : Les Presses du réel / Janvier, Dijon
— Collection : Art contemporain
— Année : 2002
— Format : 26,50 x 20,50 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 239
— Langues : français, anglais
— ISBN : 2-84066-071-7
— Prix : 30 €

Lire l’article sur l’exposition de l’artiste au Cnp

Il y a photographie
par Alexis Vaillant (extrait)

Entrer dans le travail de Serralongue, c’est mesurer notre rapport quotidien au réel spectacularisé pour justement pouvoir comprendre sa venue et sa nécessité. L’accepter, c’est commencer à mesurer les incidences qu’elle peut avoir sur la perception de l’actualité qu’elle « traite » et, par extension, sur les statuts de l’information aujourd’hui. Serralongue interroge en creux la position de maillon muet, pour ne pas dire aveugle, que les médias font occuper aux photographes sur la chaîne de la médiatisation de l’actualité. Il ouvre une brèche dans les conditions de production de l’information, brèche qu’il est le seul à arpenter, comme dans un mirador, depuis le choix de la destination jusqu’à l’exposition du tirage. Il ne moralise pas ces conditions de production. Il les invalide en pointant implicitement leur incapacité récurrente à produire de l’information visible. Regarder une image de Serralongue, c’est arpenter ce corridor, sa vue par laquelle les événements sont importants et anodins — sans qu’on puisse être certains des raisons pour lesquelles ils le sont d’ailleurs — se déclinent en « histoire, micro-utopies, résistance, militantisme, résurgence des idéologies révolutionnaires à l’ère d’une société informationnelle » [« Informatique », entretien avec Pascal Beausse, Blocnotes, n°16, hiver 1999] sur fond de troisième œil, le seul à être, pour le spectateur, photographique. Avec notamment Les Fêtes (1994) qui portent « sur les événements touristiques créés dans les villages pour animer la saison estivale » ou Destination Vegas (1996), issue de l’idée « totalement démesurée d’emmener cinq mille fans dans le désert », Serralongue saisit l’opportunité de pointer les manières dont certaines images manquent aujourd’hui, au point de « rétablir une vérité par défaut » [Éric Troncy, « Points de vue et images du monde », Documents, n°12, 2000] et de nous la rendre nécessaire sans toutefois la formater en photo-journaliste, reporter ou artiste.

Ramener des photos
Pour la série Faits divers, Serralongue s’est rendu « là où ça a fait mal  ». Nous sommes en 1994, aux prémisses de son travail. Et déjà, l’intuition de devoir « échapper à des questions d’ordre formel ou stylistique » [« Informatique », op. cit.] l’incitent à garder ses distances et à ressaisir le texte du fait divers publié dans Nice-Matin pour l’apposer sur la partie inférieure blanche du tirage encadré. Mention ainsi faite de la source qui force à la lecture, l’image fait son plein de sens et résiste dès lors à une appréhension purement stylistique en donnant, et c’est là où la méthode de Serralongue se révèle capitale, non plus l’événement vu mais la possibilité de médiatiser un rapport entre un photographe, un événement ou ses traces ou ses signes et un spectateur par le biais de la photographie. Fruit d’une enquête sur l’enquête, l’opérateur qu’est Serralongue ne produit pas de traces. Cet espace médiatiquement incompréhensible pour les médias est renégocié dans chaque image. On comprend très bien pourquoi Serralongue a voulu travailler pour des quotidiens.
Pour Corse-Matin (1997) par exemple, Serralongue intègre l’équipe d’un journal et devient photo-reporter sans transposer littéralement sa méthode et les spécificités de son espace de travail sur celui du journal. Si un cliché est publié, il existe publié mais aussi comme œuvre publiée. Ceci étant, la page du journal ne se donne pas comme une œuvre.
D’où l’intérêt de parutions postérieures à ce travail et accordées à d’autres journaux, Blocnotes par exemple, là où justement il y a production de commentaire et que les images parues deviennent des documents de travail en étant republiés. À la différence de Dan Graham qui a fait exister des projets dans des magazines [Dan Graham, « Mes travaux pour les pages de magazine », Ma position, Dijon, Les presses du réel, 1992], Serralongue ne poursuit pas de logique du « faire pièce ailleurs » — ce qui, dans une optique différente pourrait aussi en être une — il destine ce travail « du » journal uniquement à la reproduction, comme s’il ne dissociait pas au niveau de l’intention la base et la réception de l’image de son contexte global de production et de diffusion. Parce que ces commandes parues ne sont pas des « inserts », elles prolongent de biais les types de « transcription » de l’événement que Serralongue amorce : en deçà du pathos qui sert de prothèse communicationnelle à l’actualité et au-delà du statut de base de la photo comme photo-souvenir de n’importe quoi.
Le fait qu’il se mouille pour obtenir les infos de première main et se mettre au service de, l’aide aussi parfois à faire passer subtilement un écart de regard que garantit son travail entre ce qu’on lui demande, et ce qu’il « en » pense. Il est même parfois le seul photographe sur « ces » lieux de l’actualité.

Réflexion faite
Le travail de Serralongue constitue le cadre d’une réflexion sur les emplois et les vérités de l’image.
Si chaque image le démontre sans l’illustrer, c’est parce que son auteur saisit la photographie en démontrant qu’il y a photographie parce qu’il y a photographe et non pas l’inverse.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Les Presses du réel)

AUTRES EVENEMENTS LIVRES