Ce sont de grandes photographies, et de très haute définition. Des légendes factuelles (noms, lieux, dates) renseignent a minima sur les événements, ou les personnalités, représentés.
On voit ainsi : six zapatistes qui traversent en file indienne un terrain de basket en terre battue ; des gens qui se pressent le long d’une route zébrée des filets rouges que laisse le passage des véhicules, le portrait mythique du Che, suspendu à une bâtisse, resplendit dans la nuit ; un groupe de jeunes qui discutent dans la chaleur d’un été torride, en attendant l’entrée au concert, des bouteilles de plastique vides jonchent le gazon pelé ; trois Coréens côte à côte qui font face à l’appareil, dans une rue quelconque de la périphérie de Seoul ; deux autres Coréens qui posent sur des lieux de travail, en regardant droit l’objectif ; un building de verre, comme on en voit dans toutes les métropoles de la planète, ceinturé de voies rapides. Soient des images en creux par rapport à ce à quoi elles se rapportent.
Entre leur extrême acuité optique, et le non-événement qu’elles figurent, au cÅ“ur même des événements annoncés, s’ouvre un hiatus déconcertant, produit par la posture même de l’artiste. Celui-ci, choisissant des événements avec la parcimonie que lui imposent ses propres moyens de production, se coule dans la fonction d’opérateur. Il se rend sur les lieux, sans bénéficier des accréditations nécessaires pour accéder aux points de vues assignés aux médias, et fait les images que n’importe quel participant pourrait faire, à ceci près qu’il use, non pas d’un 24×36 compact ou jetable, mais d’une chambre grand format. Le poids et la lenteur du dispositif, tout autant inadaptés à la photo souvenir qu’au reportage, amplifient le décalage, et troublent le régime des images. Celles-ci résistent : elles proposent une transversalité, un regard de biais, et retiennent en surface ce que le flux des médias a depuis longtemps emporté dans l’oubli. Les sans-papiers, par exemple, qui après avoir fait la une de l’actualité, en ont été bannis, sans pour autant disparaître du réel. Bruno Serralongue est au rendez-vous de la manifestation qui tourne chaque fin de semaine autour de la fontaine du Châtelet, à Paris : soit l’art (ses images et ses lieux) comme antidote des médias.
Cependant, si ces images extrêmement précises dans leur définition disent la présence physique de l’opérateur (ce qu’on oublie communément devant une photo de presse), et regorgent de micro-informations, sans esthétisation aucune du document, de l’événement même ne transparaît pas grand chose, d’autant que chacune est isolée de sa série originelle. La question de la valeur testimoniale de la photographie seule est ici à nouveau posée, mais c’est surtout celle des modalités d’exposition d’une œuvre qui réside au moins autant dans le processus que dans son résultat qui devient cruciale. La jouissance esthétique dépend aussi d’une redistribution des savoirs.
— Entrance of RFK Stadium (Washington) , 1998. Photographie extraite de la série Free Tibet. Photographie. 128 x 157 cm.
— Commandants zapatistes/(Chiapas) , 1996. Photographie extraite de la série Encuentro. Photographie. 128 x 158 cm.
— Arrivée du convoi funéraire, Santa Clara, 14 octobre 1997. Photographie extraite de la série Homenaje. 124 x 154 cm.
— Hwong Yi Min, Yu Man Hyeong, Park Jun Kyn, Seoul, 2001.
— Park Kwong Su, Seoul, 2001.
—Kim Sung-Ok, Seoul, 2001.
—N°28 (Daewo Tower), Seoul, 2001.
Photographies extraites de la série Corée. 159 x 160 cm, chacune.
— Manifestation du collectif des sans-papiers de la Maison des Ensembles, place du Châtelet, Paris, 8 sept. 2001-2 févr. 2002. Dix-neuf photographies. 32 x 39 cm chacune.
(Toutes les photographies sont des tirages Ilfochrome contrecollés sur aluminium, avec cadre et verre).
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