Communiqué de presse
Yveline Tropéa
Broderies sur toile et sculptures brodées
Les Fantaisies chromatiques d’Yveline Tropéa
Avec cette série de grands formats brodés, Yveline Tropéa propose un espace pictural inédit, une autre dimension, mixant la gravure lorsqu’elle s’inspire de dessins anciens pour produire le canevas de sa toile, de la sculpture lorsqu’elle aborde les pièces en volume, de la peinture enfin, l’élaboration savante et minutieuse de chaque œuvre requérant des dessins préparatoires peints sur toile avant d’être eux-mêmes recouverts de fils.
Ici, la matière construit le corps, même si le propos de l’artiste n’est pas de faire de l’anatomie, ce corps à la fois figuratif, corps de matière et corps territoire d’imaginaire en ce qu’il reflète une anatomie relative et non scientifique. Corps disséqué pour mieux comprendre cet autre moi-même, ce dedans invisible et si présent à la fois, territoire fantasmé, zone d’ombre et de souffrance parfois, siège de toutes les alchimies, ferment de désordre et de turbulences intériorisées.
Idée baroque du corps, jeu de ligne, vision quasi hypnotique qui n’est pas sans évoquer l’optical art, ce travail pictural flamboyant peut s’apparenter à l’audace expressionniste, où il s’agit de faire chanter la couleur, alors qu’en filigrane le propos et le questionnement est empreint de gravité. Les motifs qui ornent ces têtes rappellent les rituels cérémoniels présents chez de nombreuses ethnies d’Amérique latine ou d’Afrique.
Dans ce territoire de l’entre-deux, mélange de culture savante et de fantaisie populaire, combinaison de motifs naturalistes et encyclopédiques ou purement décoratifs, Yveline Tropéa aborde un répertoire aux confins des planches anatomiques. Ces scènes de vie sont autant de fantaisies païennes du culte des morts, de fêtes votives ou de célébrations liées à toutes les étapes de la vie en générale.
Tantôt à la manière de peintures du grotesque, accentuant certaines difformités, mixant caprices de la nature et sa propre fantaisie d’artiste, elle crée des compositions toujours empreintes de poésie, inventions audacieuses, comme autant d’incohérences oniriques, pour mieux vous immerger dans le corps du rêve. Â
L’artiste invite le regardeur à se prêter aux jeux visuels, à voyager et à décoder les éléments du répertoire anatomique, vaisseaux, réseaux capillaires, scènes peuplées de personnages, d’animaux, de motifs, comme autant de petits paysages et de tableaux insérés dans la toile. S’agit-il d’images cryptées, cela véhicule-t-il un sens ou relève-t-il d’une simple fantaisie ironique…
Bienvenue dans un monde étrangement familier, mais qui détaché du contexte médical et scientifique, agrandi comme une réelle introspection endoscopique, produit ce sentiment de fascination pour tout ce qui relève de la part cachée des êtres et des choses, tout en donnant l’impression d’une grande familiarité, de déjà vu, du fait du biais narratif qui est ici privilégié.
Yveline Tropéa crée son propre langage, sa propre écriture, fait de signes et de symboles, usant de nombreuses références pour enrichir ses compositions magistrales. Son système de représentation est certes indexé sur les modèles médicaux, mais il en renouvelle le genre du fait de l’imagination de l’artiste.
Le primat du fond neutre sur lequel se développe les structures anthropomorphiques, ménage des espaces de respiration dans ce foisonnement d’éléments, l’ensemble demeurant étonnamment homogène. Tout se fond, se répond, se complète, les aplats brodés à la machine par la main experte d’un brodeur malgache, équilibre les travaux d’aiguilles des brodeuses bourkinabaises chargées d’exécuter le canevas de l’artiste.
Tout est parfaitement lisible, et si le sentiment d’étrangeté voire de fascination-répulsion renvoyant à des images morbides plutôt éloignées de nos cultures occidentales, peut primer, le dépaysement vient immédiatement contrebalancer l’état de découverte. Le regardeur reste fasciné par la splendeur de la palette, pantone géant, explosion de couleurs, fantaisie d’une coloriste d’exception, qui enchante autant qu’elle fascine. Olivier Castaing, directeur artistique School Gallery, Paris le 11 juin 2008.
Après avoir travaillé la sculpture au travers de têtes d’inspiration tribale et d’animaux, dans une technique très particulière de papier mâché tressé, trituré, torsadé et teinté dans la masse, Yveline Tropéa a mis au point depuis trois ans un processus de création et de production minutieux et original, aboutissant à un ensemble d’œuvres à plat et en volume, sous forme de tableaux et de têtes entièrement brodés…
La réflexion autour de la tête, du visage, s’affirmait déjà comme une préoccupation récurrente de l’artiste depuis de nombreuses années. Dans la genèse de son oeuvre actuelle, il y avait eu des travaux autour du masque et du théâtre, la rappelant à son passé de comédienne. Importait aussi son intérêt pour les arts premiers, dont les masques sont évidemment une des expressions culturelles traditionnelles et symboliques majeures.
S’esquissait enfin un pan d’une histoire familiale, qui la poussait à renouer les fils, à tisser les liens avec l’Afrique. Et c’est donc au gré d’un de ses séjours en Afrique qu’Yveline rencontre une jeune brodeuse burkinabé, dont l’ouvrage la fascine et lui donne envie, sans trop savoir comment encore, de travailler les fils de coton colorés. Quatre mois plus tard, une première tête brodée naît sous ses doigts, portant en elle quelque chose de joyeux, dans la vivacité multicolore des lacis de fils, en même temps qu’une certaine violence dans cette mise à vif, sous la peau et les os, d’une vie inconsciente qui palpite et circule.
Progressivement, Yveline Tropéa met en place un protocole de travail complexe. A partir de gravures et d’ouvrages anciens, elle s’approprie les images, les retravaille et les agrandit à l’échelle voulue. Puis intervient la phase du choix des couleurs, numérotant les espaces dans une sorte de phrénologie que nulle science ne saurait démontrer.
Enfin, l’artiste note scrupuleusement sur des cahiers les centaines de références des couleurs de fils, envoyant ensuite le tout à l’atelier de broderie qu’elle a monté, avec trois brodeuses, au Burkina Faso ou, pour les scènes de groupe, à Madagascar.
On pense, dans cette manière de déléguer la production de l’oeuvre, à l’expérience que fit Aligheiro Boetti dans les années 70, en faisant tisser ses tapisseries par des ateliers de femmes afghanes. Mais pour Yveline, bien davantage qu’une manifestation des dualismes du monde et de la création, l’atelier est le fruit d’une rencontre, d’une ouverture mutuelle, d’un travail commun, renouant avec une certaine tradition. Ce faisant, elle a ainsi créé une nécessité économique qu’elle entend maintenir et qui la motive dans la pérennité de sa production.
L’œuvre d’Yveline Tropéa se joue donc des apparences, et révèle au regard attentif, tant sur le plan formel, plastique, que signifiant, un travail d’une riche complexité, assumant des stratifications de sens et des jeux d’ambivalence passionnants.
Au raffinement absolu de la broderie, à la luxuriance des couleurs, au foisonnement des détails, l’artiste oppose la crudité – la cruauté – de corps à vif, dénudés, dépecés. Elle donne à voir, sous les dehors les plus élégants qui soient, d’étranges radiographies, à l’image de ces cerveaux « scannés » en coupe fantaisiste, de ces planches anatomiques, improbablement colorées et sans réalité médicale, comme autant d’humaines natures mortes.
Se dégage de la contemplation de ces œuvres délicatement ouvragées un mélange d’émotion esthétique et d’effroi. Quand le regard suit les méandres de ces paysages invisibles et merveilleux, de cette réelle beauté intérieure, impossible d’éluder la conscience inquiète que, source de vie, de plaisir et de jouissance, le corps est aussi par essence irréductible lieu de souffrance et de destruction.
Par l’ambiguïté de cette présence violemment organique pourtant si élégamment présentée, Yveline Tropéa tente, dans un mouvement cathartique, la difficile négociation avec le corps pathologique, la véracité de la chair, sa totale et absolue vulnérabilité, bien au-delà , au cœur des corps ouverts, de la nudité pathétique dont parlait Levinas.
Pour autant, nulle morbidité. Yveline Tropéa sait, pour reprendre le mot de Bichat, que la vie n’est jamais que l’ensemble des forces qui résistent à la mort. Alors veines et artères, pulsations et circulations, réjouissances, sans peur ni désespoir…Manière teintée d’humour, et de tendresse aussi, de dire la fugacité et la fragilité de la vie, Yveline Tropéa opère un vaste syncrétisme, croisant antiques « Memento Mori » et vanités chères à la peinture classique.
Dans ses vanités contemporaines, certaines scènes rassemblant dans un joyeux fouillis un carnaval de squelettes, d’animaux et de fleurs, lui sont inspirées des gravures de la fin du XVIIe siècle du « Thesaurus Anatomicus Primus » de Frederic Ruysch mais rappellent aussi la familiarité quasi-festive que la culture et l’art mexicains entretiennent avec la mort, les « calaveras » de Posada, autant que le surréalisme, dans cette « nécessité poétique » de maintenir la conscience de la finitude au cœur de l’existence.
Dans une époque de prohibition de la vieillesse, de la maladie et de la mort, où triomphe l’apparence d’une peau toujours lisse masquant illusoirement l’anthropophagie du temps, il y a quelque chose de poignant et d’émouvant dans l’oeuvre d’Yveline Tropéa, ne serait-ce que dans cette manière profondément sincère et élégante, fière et déterminée, d’en découdre en couleurs avec la grandeur misérable de la condition humaine. Marie Deparis, mai 2008
Vernissage
Samedi 13 Septembre 2008. 15h-19h.
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