ART | EXPO

Brise fraîche au-dessus des montagnes

14 Jan - 19 Mar 2016
Vernissage le 13 Jan 2016

Bien qu’elle ait pour titre la traduction de son prénom hawaïen, l’exposition «Brise fraîche au dessus des montagnes» d’Arnaud Dezoteux ne porte pas directement sur Keanu Reeves. Elle se construit autour de sa réception par l’artiste mais aussi chez les fans, et notamment un fan américain, Gavin.

Contrairement à ce qu’affirme Roland Barthes dans son célèbre essai des Mythologies consacré au visage de la great Garbo, le cinéma permet encore que l’on se perde dans «une image humaine comme dans un philtre» (Roland Barthes, Mythologies, Point Seuil, Paris, 1957, p. 65). Le visage et le corps de Keanu Reeves sont de ceux qui créent cette fascination, ces questionnements sans fin, ces obsessions intenses qui caractérisent l’amour étrange qui lie un fan à celui ou à celle qu’il adore. L’acteur canadien est particulièrement taiseux, et il est d’une discrétion absolue sur sa vie privée. Mais une riche mythologie s’est construite autour de lui depuis les débuts de sa carrière dans les années 1990.

Keanu Reeves n’est pas dans le contrôle de son image publique. Il est un anti Tom Cruise. Et cette «identité un peu muette», comme la décrit Arnaud Dezoteux, crée assurément plus que celle d’autres acteurs un espace que viennent combler de nombreuses projections. Bien qu’elle ait pour titre la traduction de son prénom hawaïen, l’exposition «Brise fraîche au dessus des montagnes» ne porte donc pas directement sur Keanu Reeves. Elle se construit justement autour de sa réception par l’artiste mais aussi chez les fans, et notamment un fan américain, Gavin.

Il n’y a pas une once d’ironie dans la manière dont Arnaud Dezoteux se saisit des confidences de Gavin, traite les fans, et la culture populaire. Comme pour montrer que ces multiples jeux de projection et d’identification sont aussi largement partagés que vécus intensément dans l’intimité de chacun, l’artiste vient mêler à plusieurs reprises le visage du sphinx Keanu Reeves à d’autres visages. Le sien d’abord, sur l’affiche de l’exposition. Celui d’une actrice dans une vidéo portrait, quasi immobile. Ces bizarres compositions digitales renvoient là encore à l’énigme qu’est le visage de Keanu Reeves.

L’artiste rend possible le rêve de tout fan, celui qui nourrit les fan fictions et le fan art en général: faire partie de l’histoire. En utilisant divers procédés d’incrustation, il intègre Gavin à différentes scènes de films de Reeves (Matrix 1 et 3, A Scanner darkly, Le Jour où la Terre s’arrêta). Gavin y rejoue des scènes qu’il connaît par cœur. L’incrustation n’est pas parfaitement illusionniste. Elle l’est d’ailleurs rarement chez les fans, qui ne disposent pas, pas plus que l’artiste d’ailleurs, de moyens de production aussi perfectionnés que ceux des studios hollywoodiens. Mais là n’est pas l’enjeu. Les formes d’appropriation auxquelles se livrent les fans sont de nature artisanale, comme toute la culture populaire aujourd’hui.

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