Xavier Antin, Richard Artschwager, Stéphane Bérard, David Bielander, Chris Bierl, Dominique Blais, Richard Deacon & Bill Woodrow, Wim Delvoye, Liz Deschenes, Théa Djordjadze, Marcel Duchamp, Robert Filliou, Michel François, Fabien Giraud & Raphaël Siboni, Guillaume Gouérou, Gary Hill, Sofia Húlten, Sergey Jivetin, Florentine & Alexandre Lamarche Ovize, Paul Le Bras, Fernand Léger, Sol LeWitt, Stephen Maas, Chris Marker, Jean-Luc Moulène, Panamarenko, Loïc Pantaly, Emilie Parendeau, Jean-Marie Perdrix, Julien Prévieux, André Raffray, Delphine Reist, Clément Rodzielski, Mika Rottenberg, Bernhard Rüdiger, Barbara Schrobenhauser, Nora Schultz, Simon Starling, Yoshihiro Suda, Thomas Thwaites, Jennifer Trask, Tarja Tuupanen, Catharina van Eetvelde, van Eetvelde Sautour, Manon van Kouswijk, Arnaud Vasseux
Bricologie. La souris et le perroquet
La vieille fracture de l’art et de la technique s’est réduite. Jamais autant qu’aujourd’hui les artistes n’ont montré un aussi grand appétit pour le maniement des outils, l’expérimentation sur les matériaux, l’invention des procédures, un aussi grand intérêt pour les artisanats et les nouvelles technologies. Dans une exposition collective réunissant plus d’une trentaine d’artistes et des pièces issues d’autres champs de production (arts populaires, artisanats, etc.), les commissaires de l’exposition, les artistes Burkard Blümlein et Sarah Tritz et l’historien de l’art Thomas Golsenne, entendent montrer que faire, c’est penser.
Parallèlement, une seconde exposition «Jippie Jaa Jaa Jippie Jippie Jaay!» avec une douzaine de jeunes artistes issus de la Haute École des Arts de l’Image de Braunschweig témoigne de l’identité et la richesse de leur culture technique.
L’histoire des rapports entre l’art et la technique est longue et malheureuse, dans la culture occidentale. À mesure que s’affirme la dimension intellectuelle, spirituelle de la création artistique, sa part manuelle, artisanale, s’en trouve dévalorisée. En même temps que se met en place dans la société la figure de l’artiste, avec son génie et sa vie de bohême, apparaît aussi, comme son image amoindrie, celle de l’artisan avec ses outils et son carnet de commandes. De ce point de vue, l’art moderne et l’art contemporain semblent n’avoir introduit aucune rupture avec l’art ancien, mais élargir même le fossé qui sépare l’art de la technique, l’artiste de l’artisan, comme le montrerait le succès des procédés aussi simples que le collage cubiste, des figures comme celle de Marcel Duchamp avec ses fameux ready-made ou des mouvements comme l’art conceptuel.
L’hypothèse sur laquelle s’appuie cette exposition est une autre façon de raconter cette histoire. Le titre, «La souris et le perroquet», qui pourrait être celui d’une fable, est à double entente, puisqu’il désigne aussi deux outils (la souris d’ordinateur et le gabarit de dessinateur). Dans cette fable, ce nouveau récit, l’art moderne et surtout l’art contemporain ont au contraire multiplié les occasions de rencontre avec la technique. La grande diversification des supports et des médias que les artistes utilisent depuis le cubisme et surtout depuis les années 1950 montre que ceux-ci ont peut-être abandonné (pas tous) les techniques traditionnelles de la peinture et de la sculpture, mais qu’ils ont ouvert leur intérêt à d’autres savoir-faire, quand bien même ils ne les maîtriseraient pas et doivent faire appel à des spécialistes. Certains artistes se passionnent pour les nouvelles technologies; d’autres revendiquent des pratiques «low tech», parfois même traditionnelles et artisanales. L’attitude des artistes face à la question technique n’est plus (si elle l’a jamais été) de simple rejet ou de mépris, mais plutôt de curiosité. Jamais autant qu’aujourd’hui les artistes n’ont puisé leur inspiration dans tous les secteurs de production de la société urbaine.
Et ce n’est pas étonnant: il existe depuis quelques années un mouvement général non pas tellement de domination de l’existence quotidienne par la technique, mais d’appropriation, par les individus, des savoir-faire, que cela soit à travers le triomphe du bricolage (qu’on voit à travers les innombrables tutoriels sur internet ou le succès des makers fares de par le monde), l’émergence des FabLabs ou la médiatisation récente de l’imprimante 3D. Par ailleurs, les pratiques artisanales se sont elles-mêmes enrichies et, sont apparus les «artisans d’art» dans de nombreux domaines (bijouterie, verre, céramique, etc.) qui commencent à être reconnus comme de véritables artistes.
L’exposition «La souris et le perroquet» veut mettre en avant des œuvres, des objets et des artistes qui jouent avec les techniques: qui les inventent, qui les détournent, qui les exhibent, qui les cachent. Elle veut offrir un panorama culturel de la prolifération des attitudes techniciennes dans la société contemporaine et servir de plateau où se rencontrent des artistes, des artisans d’art, des inventeurs anonymes, des ingénieurs, des designers. Mais où, également, le spectateur puisse voir des objets issus d’autres époques ou d’autres cultures, parce qu’une technique est souvent le fruit d’une sédimentation historique; parce que c’est l’anthropologue des techniques qui nous fait comprendre que dans un geste technique, il y a de la pensée, il y a de la culture.
La scénographie de l’exposition met à profit l’espace labyrinthique du centre d’art de la Villa Arson en dessinant un parcours non linéaire, à plusieurs entrées. C’est que Dédale, le premier ingénieur, inventeur des automates et d’autres bricolages merveilleux, est le lointain ancêtre des artistes bricologues. C’est qu’il faut emprunter des voies détournées pour suivre les chemins de la technique.
Commissariat
Burkard Blümlein, Thomas Golsenne et Sarah Tritz
critique
Bricologie. La souris et le perroquet