Pierre Ardouvin
Brain Damage
«Il y a quelqu’un dans ma tête et ce n’est pas moi», chante Pink Floyd dans Brain Damage.
Pierre Ardouvin créé entre ses Å“uvres des rapports qui, déjouant obstinément une dimension métaphorique qu’elles font cependant mine de convoquer, sont clairement du côté de la contamination, chacune essayant d’infiltrer l’autre par le biais d’une parenté formelle, matérielle ou sémantique.
Dès l’entrée, on est amené à traverser Jours de France, une installation dont le titre est emprunté à un magazine people, pionnier de la presse gratuite, à disposition dans les salles d’attente des médecins. C’est une reconstitution d’une petite salle d’attente, un lieu dépouillé dont la disposition de biais dans la galerie révèle tout autant son autonomie architecturale qu’un certain malaise. Sa présence incongrue rappelle celle du petit théâtre d’un rouge cramoisi, que Pierre Ardouvin avait présenté à Art Basel (Au théâtre ce soir, Art Statement, 2006). Toutes deux fonctionnent comme une scène où les spectateurs, en se croisant, s’attribuent spontanément des rôles improbables et solitaires. Mais Jours de France fonctionne également comme un sas, que l’on peut envisager comme l’origine du spectacle qui suit.
Les Å“uvres qui en participent sont d’étranges amalgames de matières: d’équilibre et de déséquilibre, d’ordre et de désordre, de quiétude et d’inquiétude.
Il y a tout d’abord les poux, que Pierre Ardouvin met en scène sous la forme de sculptures en verre soufflé. Chacun d’eux est coincé dans une porte revue en fer forgé monté sur un socle recouvert de fausse fourrure blanche. Leur brillante noirceur évoque le raffinement fin de-siècle d’un Huysmans, ou encore les menaçantes prophéties des Chants de Maldoror de Lautréamont. Ont-ils été piégés? Sont-ils la métamorphose kafkaïenne d’un Jours de France laissé à l’abandon? Disséminés dans l’espace, les poux sont ici la représentation d’une conscience tournée vers son propre abîme intérieur, un circuit fermé qui n’est pas sans évoquer le fonctionnement de la société médiatique.
Au centre de l’espace, posée sur un socle carré, une tente triangulaire J’entends, j’entends est présentée comme une sculpture. Ce lieu transitoire, dont l’intérieur est entièrement recouvert de miroirs, n’est donc plus le cocon rassurant que l’aventurier dresse entre lui-même et la nature. Le spectateur ne saurait y pénétrer sans que son image, mise en abîme, le fasse se sentir extérieur à lui-même, pris de vertige, dans une situation d’éparpillement intérieur comparable, dans son altération, à celle des poux.
Si le ravage qu’ils fomentent est pressenti dans l’espace, il est déjà visible dans les «tableaux». Ces derniers offrent en effet un espace de projection, sur les murs où ils remplissent leur traditionnelle fonction de fenêtres, aux éléments sculpturaux. Les images de paysages ou d’espaces architecturaux qu’ils présentent, investies d’éléments parasites, évoquent ainsi davantage les visions angoissantes d’un aliéné qu’un monde organisé ou une nature idyllique.
Ces «tableaux» sont des impressions sur toile que Pierre Ardouvin a réalisées à partir de cartes postales assemblées, avec des parties peintes qui ont ensuite été scannées, agrandies, tendues sur châssis puis recouvertes de résine transparente mélangée à des paillettes. Les poux semblent avoir fait leur lit dans certains, car des éléments sombres en perturbent l’organisation, en parasitent la surface et menacent d’en attaquer la profondeur. A l’intérieur de ces images, les petites créatures proliférantes endossent le rôle des médias, au sens étymologique du terme, comme une interface entre le réel et l’imaginaire. La complexité de leur mise en Å“uvre évoque plutôt la société actuelle et sa propension à manipuler le réel par la retouche, le transfert et la customisation.
«I think it’s marvelous! Hahaha!» lançait Pink Floyd, il y a presque quarante ans, pour dénoncer les effets de la violence sociale. Un commentaire désabusé qui résumerait mieux encore ce jeu virtuose et sans réelle perspective qui s’élabore, aujourd’hui, sur les propres métastases d’une violence devenue silencieuse, laissant entrevoir, derrière la perfection des reflets, une mécanique du vide, de la répétition et de l’indifférence. Le côté face du désespoir.