Le Jeu de Paume présente une importante exposition monographique de l’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili. Avec, en exergue de « Blackboard » [tableau noir], une citation de Sony Labou Tansi : « On ne peut pas produire de l’art engagé, c’est l’art qui produit des engagements. » Artiste contemporaine créant films, installations vidéo, photographies et sérigraphies, Bouchra Khalili s’attache aux stratégies de résistance des individus et groupes minoritaires. Une résistance aux mécanismes oppressifs qui passe notamment par l’élaboration de récits. Habitée par les figures du cinéaste et écrivain Pier Paolo Pasolini, comme du poète et écrivain Jean Genet, Bouchra Khalili conjugue mots et images. Ses films flirtent avec les formes du documentaire, tout en cultivant une dynamique poétique (ou poïétique — attachée à faire advenir les choses). Rassemblant des pièces créées au fil de ces dix dernières années, « Blackboard » présente des œuvres attentives aux articulations du discours : qui parle, et d’où.
Exposition « Blackboard » de Bouchra Khalili : le récit contre l’oppression
Si la forme du témoignage est omniprésente dans le travail de Bouchra Khalili, c’est aussi pour mieux y être interrogée. Chaque Å“uvre fonctionne un peu comme une plateforme, une interface à partir de laquelle les protagonistes déploient leurs stratégies de lutte. Dans la vidéo The Seaman (2012), par exemple, un marin philippin développe des réflexions sur les mécanismes du commerce globalisé. Depuis sa position de travailleur globalisé, en exil permanent. Tandis que les deux vidéos The Mapping Journey Project (2008-2011) et The Constellations Series (2011) restituent les récits de migrants ayant traversé illégalement des frontières, et survécu à ces traversées. Constats de nouveaux départs, plus encore que témoignages, ces films écoutent et donnent à entendre des récits de vie factuels. Héritières d’une double culture, clivées par les colonisations, les Å“uvres de Bouchra Khalili font aussi dialoguer différentes affiliations (langues, classes sociales…). Telle sa trilogie vidéo The Speeches Series (2012-2013).
Vidéos, installations, photos, sérigraphies… Mémoires des luttes et récits pluriels
Artiste ayant une double nationalité et résidant à Berlin, Bouchra Khalili se déplace avec fluidité. À l’instar de l’artiste Yto Barrada, avec laquelle elle a cofondé la Cinémathèque de Tanger. Une fluidité qui facilite la captation des récits, de chaque côté des rives. Prise à Miami, sa série photographique We Feet (2012) présente ainsi les traces d’exilés ayant réussi à rejoindre l’Amérique. Arpentant aussi bien l’espace que le temps, son corpus Foreign Office (films, photos, sérigraphies) revient sur l’Alger des années 1962-1972. Une décennie au cours de laquelle la ville aura accueilli des mouvements de libération internationaux. Aussi tenace que l’idée selon laquelle l’Histoire ne serait écrite que par les vainqueurs, Bouchra Khalili n’abdique rien. Présentée à Cassel et Athènes pour la Documenta 14 (2017), sa pièce The Tempest Society questionne la notion d’égalité. Tandis que son dernier film, Twenty-Two Hours, retrace le soutien de Jean Genet aux Black Panthers.