Rien que le titre laisse songeur : Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies. Spectacle de danse et cirque contemporains, Bienheureux…, de Boris Gibé et Florent Hamon (Cie Les Choses de Rien) est intimement lié à un projet d’exposition et vidéos. À savoir le projet « Mouvinsitu », une exposition cinématographique défiant les lois de la gravité. Pour un univers renversant et renversable, comme le titre de la pièce : bienheureux sont ceux qui vivent debout sans marcher sur leurs rêves. Dans le projet « Mouvinsitu », initié en 2008, il y a la fascination pour les friches, les lieux désaffectés. Tels les grands espaces vacants de la ville de Detroit, entre désastre industriel et possibles à réinventer. Cet imaginaire du vide traverse la pièce, qui à son tour convoque vents et courants d’air, papiers et journaux tourbillonnant.
Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies (cirque / danse)
Sur scène, Boris Gibé et Florent Hamon (en alternance avec Tiziano Lavoratornovi) font ainsi naître un duo aux prises avec la force éolienne. Dans un décor puissant, qui évoque la photo de Jeff Wall, A Sudden Gust of Wind (after Hokusai) [Une soudaine rafale de vent (après Hokusai)]. Mais également un long plan séquence du Tango de Satan de Bela Tarr. Ce film dans lequel le vent fait là aussi valser les personnages. Souffleries, emportements, acrobaties… Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies présentent deux jeunes hommes en costume gris, malmenés par les éléments. Les journaux volent, couvrent et recouvrent, allant jusqu’à ensevelir les corps, pour mieux repartir dans une course folle. Les corps oscillent, les mots et les images vacillent, voltigent, et le spectacle déploie une poésie de la perte. Les costumes de papier se détériorent, se déchirent, laissant alors apparaître un monde qui clignote, balayé, rincé.
Boris Gibé et Florent Hamon : duo onirique, poétique de la chute et du rebond
Avec une poésie presque beckettienne, les deux personnages de Bienheureux sont ceux qui rêvent debout sans marcher sur leurs vies réussissent à faire naître de la tendresse. Dans l’errance, la dépossession, l’impuissance à résister aux éléments, naissent des figures de voltiges tourbillonnaires et réjouissantes. Toujours sur le fil de la chute, ne tenant qu’à un fil, que d’une main, les corps se balancent, se rattrapent, roulent et valsent. Une poétique de l’effondrement qui finit toujours par rebondir. Pour un spectacle à couper le souffle, sur le qui-vive de la chute, se retournant en pirouette, pour mieux bondir et s’envoler. Marcher certes, mais aussi rouler, danser, tomber, sauter, virevolter… Dans un territoire onirique défiant la pesanteur par la force des poignets. Sans pour autant abandonner le velouté de la voltige. Deux poètes aux ailes de géant, pour une pièce chorégraphique enchantée.