Avec Georg Cantor, à la fin du XIXe siècle l’infini mathématique est devenu pluriel. Via le Théorème de Cantor, qui suppose une infinité d’infinis. Autrement dit, ce vertige conceptuel d’infinis de tailles différentes. Aujourd’hui, le chorégraphe Boris Charmatz plonge dans celui de la danse, du mouvement, des corps, avec sa pièce Infini (2019). Création pour six danseurs, Boris Charmatz y passe par les nombres, les comptes et décomptes, pour explorer quelque chose du vertige. Mais esquivant les solutions premières (déborder le début et la fin, remplir le plateau de centaines de danseurs…), il creuse l’infini par l’intérieur du cadre. Depuis les débuts de la danse, les interprètes comme les musiciens comptent. La mesure est cyclique ; les chiffres s’égrènent. Mais que se passerait-il si le décompte ne formait plus une boucle, mais s’élançait à l’infini ? Pièce de nombres et mouvements, les danseurs y content des séries de nombres, sans fins.
Infini de Boris Charmatz : une danse au fil, et sur le fil, des nombres
Infini prend les traits d’un sextet réunissant les danseurs Régis Badel, Raphaëlle Delaunay, Maud Le Pladec, Tatiana Julien (en alternance), Fabrice Mazliah et Solène Wachter. Boris Charmatz y danse également. Dates (intimes ou historiques), séries (nombres premiers, codes…), mesures, coordonnées : les nombres d’Infini sont chargés de saveurs et textures collectives ou particulières. Pour les danseurs et musiciens, le décompte est aussi une façon de s’orienter dans l’espace et le temps ; une façon de structurer l’espace-temps. Mais esquivant tout didactisme, Boris Charmatz précise : « J’aimerais donner l’impression que quelque chose dans les corps résiste à la force d’entraînement des nombres ». Qui n’a jamais marché sur la corde raide d’un comptage en milieu bruyant ? Quand, en funambule du chiffre, les interférences de l’environnement menacent à chaque instant de faire perdre le fil ? Danse rapide, vive, haletante, avec Infini Boris Charmatz courtise les états paradoxaux.
Infini, infinité d’infinis : quand la danse ouvre son espace-temps en comptant jusqu’à …
Les états paradoxaux ? « Ces moments de friction où la bouche dit quelque chose et où le corps essaie de se maintenir dans son état avant de se transformer. » Et pour exemple, Boris Charmatz donne l’image de quarante scansions de zéro, au bout desquelles, peut-être, le corps finira par « céder à la force d’inertie du zéro ». Pièce notamment inspirée par deux livres (Tout et plus encore de David Foster Wallace et Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron), Infini s’élance sans retour en arrière. Livrant une pièce architecturée ; charnelle dans son usage du nombre. Tantôt le sol s’y jonche de dizaines de gyrophares blancs ; tantôt la scène y est baignée d’une lumière dorée. Jeux de voix, de lueurs chaudes, de corps qui s’escaladent à même la chair : Infini n’a rien d’austère. Pour une écriture chorégraphique en perpétuelle auto-redéfinition ?
Itinéraire du spectacle (non exhaustif) :
– Espace 1789 (Saint-Ouen), dans le cadre du Festival d’Automne à Paris 2019, le 19 novembre 2019.
– Théâtre Nanterre-Amandiers (Nanterre), dans le cadre du Festival d’Automne à Paris 2019, du 13 au 16 novembre 2019.
– Théâtre de la Ville – Espace Cardin (Paris), dans le cadre du Festival d’Automne à Paris 2019, du 10 au 14 septembre 2019. Première en ÃŽle-de-France.