Jean Denant
Borders
Borders. Ce titre fait référence aux frontières, aux limites, aux jointures entre des espaces distincts, mais qui peuvent néanmoins entrer en contact, dont la nature même est d’ailleurs de toujours être à la limite de la fusion tout en soulignant en permanence une ligne de démarcation. Ici, les frontières concernent les limites géographiques et géologiques de la cartographie, mais aussi les délicats passages entre les époques historiques et même entre le conscient et l’inconscient.
L’exposition propose alors un regard sur l’héritage de l’esthétique du Bauhaus prenant en compte la frontière entre les arts appliqués et les arts plastiques. Qu’il s’agisse de la fameuse chaise longue LC4 dessinée par Le Corbusier évoquant immanquablement les cabinets de psychanalystes, ou de la chaise Wassily de Marcel Brauer, les indices sont là pour mettre en question cet héritage avec force critique, n’hésitant pas à mettre en doute certaines utopies notamment architecturales, à l’image de La Ville Radieuse du Corbusier dont le plan sert de motif à un grand tapis.
Jean Denant n’hésite pas à dire que nous avons «sacralisé toute cette période», et qu’il s’agirait de reprendre la main, de mettre le doigt sur les croyances perpétrées. Ainsi, Jean Denant développe un art sculptural exemplifiant son geste en permanence, attestant qu’une «œuvre n’existe que grâce à une présence physique», que ce soit des découpes numériques qui ont la précision du scalpel; ou des photographies imprimées sur plâtre moulé mais qui semblent avoir été grossièrement froissées à la main, alors que nous sommes face à des volumes bien rigides, l’artiste laissant flotter, à fleur de mur, ce qu’il appelle des «prothèses architecturales» qui gardent la trace du geste qui les ont engendrées.
Le parcours se poursuit avec une imposante cartographie du monde, une mappemonde dont les contours voient le jour après un martelage réalisé in situ sur un mur en placoplâtre. L’artiste donne la mesure, encore ici, de la singularité d’un geste et de sa densité à un instant «t», car le monde s’est dessiné par une suite de coups maîtrisés et répétés créant des reliefs et des mers, des béances à même le mur. C’est une prise de conscience diffuse du monde contemporain fondée sur un principe d’excavation.
Comme pour les bois gravés également présentés, qui sont autant de plongées dans d’épaisses forêts, il s’agit d’extraire de la matière pour révéler, de creuser pour analyser. Ces grandes forêts sont des «fondations», des territoires où quelque chose s’est déposé pour mieux servir de socle, comme peut l’être notre inconscient ou notre histoire. Alors, les débris prélevés au camp de Rivesaltes montrés ici dans des pots nous rappellent à un théâtre de multiples internements. Car de telles architectures gardent des traces.
Jean Denant, par ces multiples prises de possession du réel et de son impact, propose ici une réflexion globale sur le dessin: la ligne se fait sèche et précise, brutale et profonde, froissée, ou bien encore elle est l’ossature d’une construction, mais elle demeure toujours physique, et force urgente d’interpellation.
Léa Bismuth
Vernissage
Samedi 30 mai 2015