Elle est diplômée de l’École des beaux-Arts de Cergy, lui a fait celle de Paris. Elle a 26 ans, lui 28. Pour Bonnes résolutions en haute montagne, l’un et l’autre s’inspirent de la culture «low-tech», des cliparts et des images stéréotypées, facilement imprimables et photocopiables. Tous deux se partagent l’espace de l’atelier Cardenas Bellanger dans une exposition résolument haute en couleurs et en contrastes.
Dans la grande salle, Soraya Rhofir a posé un mutin petit bonhomme plié en deux sur la rampe de l’escalier. En face, elle a imprimé sur le mur quelques briques rouges, toutes droites sorties d’un jeu vidéo. Une flèche donne même l’impression qu’on pourrait les déplacer d’un coup de souris.
Sur le mur face à l’entrée, elle a représenté une grande fresque où les icônes d’un clown semblent sortir progressivement du décor. Dans cette grande construction néo-pop, une porte s’ouvre sur l’infini d’une mosaïque bleue, tandis qu’un personnage dit simplement: «Lol». Comme tout internaute qui se respecte.
Cet éclat de rire est un écho aux «/O/» qui s’étalent sur les toiles graphiques et expressionnistes de Clément Rodzielski. Au nombre de deux, et à moitié masquées par deux caches noirs (en forme de pylônes dentelés, un dirigé vers le haut l’autre vers le bas, que Clément appelle «stalactite», et «stalagmite»).
Les panneaux de Clément Rodzielski laissent à peine passer leur message: «Allo». «Allo allo, y a-t-il quelqu’un au bout du fil?». Ou la personne a-t-elle disparu ? Qui alors? cette jeune fille au portrait brisé qu’entourent le stalactite et le stalagmite ? Au cœur du dispositif, une jeune femme est en effet affichée. Elle est hachée à la manière d’une égérie cubiste. Clément Rodzielski a posé le cliché original bardé de miroirs sur un écran de photocopieuse et il a lancé l’impression… sur du très mauvais papier de très grand format. Le résultat est frappant.
Parallèlement, en dialogue avec les briques de Soraya, Clément a récupéré plein d’éclats d’images dans la poubelle de son ordinateur. Il les a imprimées, angles droits et couleurs comprises, pour donner une suite de huit mini tableaux dans le goût de Mondrian sur du papier A4 standard avec de l’encre fade. Ainsi, c’est en petits carrés blancs et en rectangles de couleurs que les deux artistes discutent virtuellement des images qui hantent nos esprits.
Jets d’encre et pieds de nez
Mais attention, «Bonnes résolutions en haute montagne» n’est pas le festif happening de deux jeunes artistes branchés informatique. Pas plus qu’une escapade en colonie de vacances. Loin d’être une vaste farce, ou un joyeux pied de nez, les travaux de Soraya Rhofir et Clément Rodzielski proposent une profonde réflexion sur ce qu’ils font, et ce qu’ils sont en train de montrer. Quand ils parlent de leurs œuvres, c’est avec infiniment de sérieux, de doutes, et parfois avec une pointe d’angoisse. Comme si le monde pouvait soudain se dérober sous leurs claviers.
L’un et l’autre interrogent l’abyme qui s’ouvre derrière les images. C’est ce qu’ils annoncent dans le poème qui leur sert de note d’intention:
Le totem noir voit clair à travers la broussaille / Transparence des choses/ Images sur objets = objets sous images/ la cartouche épuisée de l’encre noire/ Chasse les contours / perd les contacts avec la silhouette / Qui s’évapore sous / Les mauvaises impression persistantes.
Soraya Rhofir remet en cause la représentation dans sa grande fresque-portique, qu’elle a conçue comme une perspective bancale, avec une porte ouverte sur un autre univers où les clefs et boussoles disparaissent derrière un tapis bleu de carreaux de sol.
Clément Rodzielski s’intéresse à l’image qu’il pose derrière un cache, et ses jeux de superposition laissent une grande place au vide, au doute, et à l’imagination.
Enfin, dans la deuxième salle que Carlos Cardenas appelle son «bureau» et les artistes «l’atelier», Soraya Rhofir et Clément Rodzielski continuent leur «chat» artistique, via leurs créations. Ils y interrogent le statut de «l’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée», selon le titre de l’essai du philosophe allemand Walter Benjamin.
Clément Rodzielski nous pose cette question en confrontant des images peintes originales qu’il expose sur un mur à leurs photocopies posées en masse et en tas au pied des dessins. Quant à Soraya Rhofir, fidèle à son goût pour les images existantes et la béance qui apert derrière ces artefacts, elle reprend des images de magazines dans une grande fresque qu’elle gribouille allègrement. Autre caractéristique: ces images sont légèrement démodées, comme issues de catalogues collectors La Redoute des années 1990.
Encore une fois clowns et clones s’entremêlent dans une réflexion sur l’image. Stéréotypées, reproduites et vulgaires, celles que (re)travaille Soraya Rhofir ont bel et bien perdu leur «aura»; à peine datées de quelques années, elles gisent déjà devant nos yeux, vestiges désenchantés d’idoles éphémères…
Il faut prendre d’urgence la bonne résolution d’aller découvrir Soraya Rhofir et Clément Rodzielski. Non seulement ce sont deux artistes très prometteurs. Mais surtout, l’exposition apporte énormément en réflexion puisqu’elle interroge nos clones visuels et leurs dérives cybernétiques.
Yaël Hirsch est responsable de la rédaction de www.en3mots.com
Exposition Bonnes résolutions en haute montagne
Clément Rodzielski
— Flash Black, 2007. 12 feuilles A4. Gouache sur papier. 300 revues photocopiés. Dimensions variables.
— Miroirs noirs (Elodie Navarre), 2007. Impression noir et blanc. 81 x 116 cm.
Soraya Rhofir
— I Like All (J’aime tout), 2002. Technique mixte sur papier. 17,7 x 20 cm.
— La Porte cosmique, 2007. Installation. Impression numérique, collage, scotch. Dimensions variables.
— Mascotte promotionnelle, 2007. Impression numérique. Dimensions variables.