Janet Biggs, mounir fatmi, Shaun Gladwell, Ali Kazma, Jean-Michel Pancin, Robert Montgomery
Body Memory
La mémoire est en général considérée comme un phénomène mental, une faculté de l’esprit ayant pour fonction d’enregistrer, conserver et rappeler des informations. En réalité, la mémoire est multiple, elle est mentale, corporelle, immunitaire, électronique; elle peut être collective. En physique, il existe aussi une mémoire dite de forme, à savoir la capacité de retourner à sa forme initiale après une déformation. Mais la mémoire se niche aussi profondément dans le corps, et les souvenirs d’événements délicieux, traumatiques, formateurs ou terribles sont souvent enfouis si profondément dans le cerveau que seul le corps s’en souvient. Cette mémoire du corps, dite «refoulée», se manifeste souvent par des symptômes physiques et peut échapper longtemps, non seulement à ceux qui la portent en eux mais à ceux qui, professionnels ou proches, essaient de la déchiffrer.
Les artistes d’aujourd’hui, comme les médecins, depuis toujours passionnés par le corps et ceci tout au long de l’histoire de l’art, se penchent aussi sur cette question de la mémoire du corps — et souvent utilisent, pour ce faire, la vidéo d’art, si tant est que la vidéo est un medium de prédilection pour parler de la mémoire des gestes et des images et se conjugue à tous les temps.
Pour «Body Memory», cinq artistes vidéo, Janet Biggs (USA), Ali Kazma (Turquie), mounir fatmi (Maroc), Shaun Gladwell (Australie) et Jean-Michel Pancin (France), déroulent devant nos yeux leur approche souvent allusive de la mémoire du corps, une approche fluide, en mouvement, comme l’image qu’ils travaillent.
Le travail de Jean-Michel Pancin est iconique de l’exposition. Patineur amoureux de la glace et bientôt d’élite, l’artiste aura patiné six heures par jours pendant une dizaine d’années. A l’âge de seize ans, il doit interrompre cette pratique bien-aimée pour des raisons médicales. Il deviendra artiste, s’intéressant à l’enfermement, et à l’échappement de soi. A quarante ans, il décide de faire travailler cette mémoire du corps et d’en faire une vidéo. Il chausse ses patins, devenus trop petits, et s’élance sur la glace, pour y imprimer, avec la lame, des algorithmes qui lui sont chers. Le corps se souvient de tout, et les courbes sur la glace et la vidéo, au titre mystérieux, sont là pour en témoigner.
Janet Biggs, Ali Kazma, Mounir Fatmi, Shaun Gladwell, chacun à sa manière, abordent la question du corps et de ses liens au geste, à la mémoire, notamment lorsque la mémoire «classique» est altérée comme dans la maladie de Alzheimer ou d’autres pathologies «mentales» (Janet Biggs); liens à l’absence, à l’apprentissage, et au passé (Ali Kazma); au sommeil et au sexe (mounir fatmi, qui dit: «Le corps, ah le corps, magnifique architecture qu’il faut modeler et souvent restaurer»); ou encore à cette empreinte si profonde que laisse l’amour en nous, une empreinte à la fois physique et psychique (Shaun Gladwell).
Shaun Gladwell, connu pour ses performances et ses vidéos qui parlent souvent de la mémoire du geste, propose pour «Body Memory» un travail original, basé sur sa mémoire d’enfant profondément amoureux de Tripitaka (l’héros-héroïne de la série culte Monkey, dans laquelle Masako Natsume, sublime actrice trop tôt disparue, joue le personnage d’un jeune moine) et sur les poèmes que l’artiste lui écrit.
A l’entrée de l’exposition, une sculpture lumineuse du poète plasticien Robert Montgomery creuse les liens entre corps et mémoire par l’intermédiaire du cheval de Troie: We are just the wrecked and broken trojan horses of our dreams. Le cheval de Troie, dans son ventre, porte cachés la vie, la mort, et nos rêves.
Commissaire: Barbara Polla
Vernissage
Samedi 4 juillet 2015