Ivan Argote, Pauline Bastard, Katia Bourdarel, Clément Cogitore, Mounir Fatmi, Maïder Fortuné, Sigalit Landau, Pierrick Sorin, Stéphane Thidet, Muriel Toulemonde
Blue Movie
Tout au chaud, volet clos. Faisceau de lumière bleue, argentée, violacée. On est dans l’onde de haute fréquence. Attention, aucune protection anti-ultraviolet n’est distribuée. On s’expose aux rayonnements de corps noirs, dans une lumière noire, mélange d’infrarouge et d’ultrableu. Chaud-froid. On s’expose à avoir la peau brûlée en dessous, pas à la surface, mais dans les profondeurs. Comme quand on s’expose le corps aux ultraviolets émis par le soleil. Mais là , c’est le soleil noir des salles obscures qui nimbe l’espace d’exposition, qui étale l’image en mouvement, grande et picturale, crue et électrique, sur le mur en face, saturant l’œil rivé dessus, le corps à l’abandon sur un canapé.
Home cinema. Pauline Bastard et Ivan Argote installent en plein milieu de la galerie un espace cinéma (presque) comme dans ton salon. Le contraire du cadre hygiéniste de l’exposition contemporaine d’art vidéo. Laissées au musée, les étroites banquettes en simili cuir qui collent au haut des cuisses quand on porte un short ou une mini-jupe. Pas de petits rideaux qu’on écarte pour passer une tête un rien de temps. Non, là c’est irrésistible. Le canapé maison prend la place, celui où on s’enfonce, s’affale, s’allonge. Mais s’allongeant, s’affalant, s’enfonçant, le corps s’expose aux rayonnements des cette sélection choc. Les films de dix artistes s’enchaînent, flamboyants et implacables.
De longueurs d’ondes différentes. Vibrations alternées. Les différents plans-montages-cadrages-superpositions s’accrochent en une ronde débordante d’énergie vitale, modulée, offensive, à l’assaut de la matière inanimée. Une langue vigoureuse attaque, fouille, lèche une barre de métro, sous un éclairage blafard — du bleu dans le néon blanc. Regards fuyants des passagers, chopés au cœur de leur routine de normalisation par un cadre impitoyable. Sensualité métallique. Morsure sous peau. Sensualité torve, qui se fraie un chemin dans la salle obscure. Blue movie. Ils sont réveillés, les passagers captés dès le début par le film d’Ivan Argote, comme ceux qui s’installent sur les canapés de récup dans l’espace de la galerie, disposés en gradins, comme au cinéma, comme au théâtre.
Radiation et irradiations des corps présents et présentés. De la foule au squelette, des silhouettes, bleuissures incandescentes, de Clément Cogitore à la danse macabre et enchantée de Stéphane Thidet, la sensualité se détache sur fond bleu. L’individu est pris dans la multitude.
Chair traversée et blessée par le fer politique mortifère de Sigalit Landau. Corps, visage exposé, torture, meurtrissure, décomposition: Katia Bourdarel nous fait passer de l’autre côté du miroir. Sous le prisme de Muriel Toulemonde, la sensualité se rue avec obstination, brute. Mounir Fatmi épie à la loupe le fétiche, prothèse adjointe à des corps limités, imparfaits, soumis à une histoire qui s’écrit à coups de marteaux. C’est mignon tout ça, veut dire Pierrick Sorin transformé en superstar warholienne de carnaval, corrosive — les couleurs criardes du travestissement sont absorbées dans l’intensité de son film noir en solo.
Histoires d’astres sombres. Le noir absorbe toutes les couleurs, bat le blanc à plate couture — Maïder Fortuné ensevelit l’image enchantée dans le noir. Et l’œil boit le filtre bleu, qui diffuse sous l’épiderme, pour ré-affronter, après l’interruption subversive de la salle obscure, l’extérieur jour, corps à découvert.
Mériam Korichi