En observant les autoportraits, on se rend compte que le visage est lui-même travaillé comme un champ de mort, comme si l’artiste cherchait à dépasser l’harmonie de ses propres traits afin de dégager une profondeur. Les autoportraits de Cognée sont des visages en décomposition, en passe de se liquéfier. Ils sont tordus par une douleur incompréhensible: l’un tire la langue, l’autre rejette son visage en arrière… Le regard est abyssal et transi.
Ces visages ne sont pas sans rappeler les autoportraits de Francis Bacon et la capacité qu’a cet artiste à aller derrière le visage, vers la chair et ses mouvements. A ce propos, on peut mentionner la série que Cognée a consacré aux «Carcasses» de viande, rappelant les bœufs écorchés de Bacon.
La technique utilisée par l’artiste se doit d’être mentionnée si l’on veut comprendre les secrets de ces toiles fondues. D’abord Cognée mélange les pigments de couleur avec de la cire d’abeille, puis il recouvre la toile peinte d’un film plastique autocollant et transparent. Enfin, il fait fondre au fer à repasser la couleur mélangée à la cire, créant des espaces plus ou moins flous et diffus. Cette technique permet la création de visages désarticulés aux formes en mouvement.
La même technique est utilisée pour les vanités. A la différence des vanités baroques qui ne présentent qu’un seul crâne de mort rappelant à l’homme sa nature éphémère, les vanités de Cognée proposent une démultiplication de crânes, une accumulation qui contraste avec la solitude des autoportraits. Le regard est happé par le caractère acidulé des couleurs qui, paradoxalement, inondent les toiles: le jaune vif, le vert anis et le rose bonbon composent la palette utilisée par Cognée, palette qui autorise toutes les déclinaisons possibles, du mauve au violet intense.
On pourrait donc en conclure que de même que Cognée fait «fleurir» sa palette, il cherche dès lors la figure humaine derrière les foules et les «villes tentaculaires» avec lesquelles il avait l’habitude de dialoguer dans ses «Urbanographies». On passe de l’urbain à l’humain au risque du pourrissement, de la douleur et de la mort, rappelant la parole de l’Ecclésisate : «vanité des vanités, tout est vanité».
Philippe Cognée
— Crânes, 2006. Peinture à la cire sur bois. 60 x 153 cm.
— Vanité II, 2006. Peinture à la cire sur toile. 230 x 320 cm (diptyque).
— Autoportrait, 2006. Peinture à la cire sur toile. 65 x 50 cm.
— Petite Vanité, 2006. Peinture à la cire sur toile. 45 x 57 cm.
— Vanité III, 2006. Peinture à la cire sur toile. 200 x 250 cm.
— Autoportrait, 2006. Peinture à la cire sur toile. 61 x 50 cm.