Avec un titre pour le moins estival, qui évoque les vacances prochaines, l’exposition de Véronique Joumard offre à la Galerie Serge Le Borgne un bain de soleil. Encore faut-il, en cette époque sombre où les saisons se disloquent, qu’il soit au rendez-vous.
Composée de tableaux et de modules monochromes, l’installation Bleu au soleil est photosensible. Elle réagit aux variations et à l’intensité de la lumière du soleil, vire au bleu sous l’effet du spectre de la lumière blanche.
Le travail de Véronique Joumard est intimement traversé par la question de la lumière, de son émergence et sa propagation dans l’espace d’exposition. Si des œuvres comme Poutrelle ou Solarium reposaient sur la production et la diffusion d’une lumière artificielle et électrique, Bleu est le résultat de la lumière du jour qui perturbe la condition d’une couleur déjà existante.
Le spectateur évolue donc autour d’une œuvre en continuel mouvement, bercée par les pulsations irrégulières du soleil, par son reflet. Il fait l’expérience d’un work in progress subtil et sensitif. Véronique Joumard invite le dehors à s’immiscer dans le dedans, le lieu d’exposition, comme médium déterminant de l’œuvre, sa condition d’apparition.
En intégrant ainsi la «vraie» lumière et son pouvoir coloriste, elle ouvre une nouvelle voie à toute une tradition picturale et réactualise physiquement les formes du minimalisme et de l’abstraction, relie Yves Klein à Dan Flavin sous un soleil radieux.
Les photographies exposées dans la seule pièce de la galerie sans lumière du jour apparaissent comme le parfait contrepoint de Bleu. Frontales, elles dessinent des sources de lumière électrique sur un noir profond. Elles partagent cependant un enjeu commun: mettre en évidence la condition même de la perception.
Véronique Joumard extrait également des objets du quotidien dont elle déplace le sens pour produire une altérité. Ainsi, Objets volants est composé de dizaines de ballons gonflables d’une froideur métallique qui suspendent, à quelques centimètres du sol, un tabouret en aluminium. Onirique et aérienne, cette œuvre offre au spectateur le fantasme d’un décollage imminent, d’un voyage en ballon, à la fois objet de foire et zeppelin.
Fascinante comme une surface chromée (un enjoliveur customisé ou le Rabbit de Jeff Koons), cette œuvre se fait jeu de miroirs, décuplant et déformant les points de vue, renvoyant un spectateur et un espace devenus multiples. Elle interagit avec une pièce présentée dans le show-room de la galerie : un miroir de surveillance. Une demi-sphère.
Là encore, cette thématique du reflet et du miroir s’inscrit dans une histoire riche dont le spectre couvre autant la peinture flamande et renaissante que le minimalisme et le Land Art d’un Robert Smithson. Mais par leur forme convexe, les miroirs de Véronique Joumard offre un dialogue ouvert avec Les époux Arnolfini de Van Eyck.
Situé en arrière plan de ce tableau, un miroir laisse apparaître deux personnages, dont le peintre. Par ce stratagème, Van Eyck inclut la figure du créateur, introduit dans l’œuvre les modalités de son existence. En les réfléchissant, Véronique Joumard étend cette idée au spectateur et à l’espace d’exposition.
Ainsi ces œuvres se constituent-elles autant comme forme que comme objet de vision. On les voit autant qu’elles donnent à voir. Elles renvoient à une configuration réelle. Mais en produisant une image déformée, elles proposent des espaces autres qui, comme l’écrit Michel Foucault, suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis. Ainsi sur un registre minimaliste et avec poésie, Véronique Joumard questionne l’espace d’exposition et lui offre une échappatoire, un hors-champ.
Véronique Joumard
— Tableaux, 2008. Série de 7 tableaux monochromes, peinture photosensible, médium. 120 x 80 cm
— Bleus, 2008. 11 modules, peinture photosensible, médium, roulettes. Dimensions variables
— Objets volants, 2008. Tabouret en aluminium, ballons, hélium, fil
— Sans titre, 2008. 7 photographies, tirage couleur contrecollé sur aluminium encadré. 180 x 120 cm
— Sans titre, 1993. 9 globes de verres, ampoules, fils électriques, prises, multiprises. Dimensions variables.
— Sans titre, 2000. Miroirs de surveillance, demi-sphère. Diamètre : 100 cm