Tout d’abord, quelques points qui, à notre humble avis, clochent dans cette pièce au titre mystérieux, en patois istréen, qui ne conserve pas jusqu’au bout l’exigence esthétique de l’entame. Les chansons, en v.o. non sous-titrée, elles aussi en cette novlangue proche de l’anglo-yaourt, sont sympathiques mais sonnent plus folk que rock, ce qui est toujours un peu dommage ! La quantité d’encens destinée à enfumer le spectateur n’apporte pas grand chose à l’entreprise. Et dès qu’on aborde le domaine de la danse, que ce soit au sens néo-classique ou contemporain du terme, on observe une gestuelle assez retenue, convenue, sage. C’est que… ce n’est pas évident d’innover en général et dans le domaine du tour, du pas de deux ou du porté en particulier…
Cela dit, il faut reconnaître que la chorégraphie est parfaitement dosée, ordonnée, structurée. Les séquences se détachent avec netteté. Parcours et discours sont lisibles : on est dans la ligne claire — le titre ne s’appliquera vraiment qu’à la partie duelle du finale de la pièce, plus nébuleuse et équivoque.
Scénographiquement parlant, Christian Ubl ne manque ni d’idées visuelles ni de trouvailles gestuelles. Et l’œuvre, même inachevée, fonctionne déjà , c’est incontestable. Le gigantesque mobile calderien imaginé par Emile Genoud prend un certain temps à se mettre en branle mais son effet cinétique est garanti. Rien à dire des éclairages, sinon qu’ils contribuent certainement à produire un sentiment d’étrangeté.
L’option SM des costumes, confectionnés en dentelle noire, rappellent les bracelets de force, les fourrures vénusiennes, les jabots compliqués, les cagoules pour catcheurs imaginés jadis par Jean-Paul Gautier pour le Façade de Régine Chopinot. Ils ajoutent une connotation précise et précieuse au personnage ambigu du danseur-wrestler incarné par le chorégraphe barbu en personne.
La bonne surprise de la soirée aura été la découverte d’une interprète féminine d’une grâce et d’une photogénie rares : Audrey Aubert. Par sa seule présence immobile, silencieuse, lorsque, au début de la pièce, le temps d’un single, d’un 45 tours ou des 2’35 de bonheur réglementaires, sa voix est diffusée en playback, la chanteuse–danseuse-comédienne jette illico le trouble, provoque rapido presto l’émoi, fascine d’emblée son auditoire. Elle prend le plateau et ne le quittera plus durant la trentaine de minutes que dure le set. Radieuse, Audrey Aubert occupe la scène, se déplace lentement, s’assoit à même le linoléum, près d’un pilier, côté jardin. Avec élégance, elle s’allonge sur le dos, lève un genou, fait pivoter son corps sobrement dissimulé dans une robe claire. Elle ôte mine de rien, ni vu ni connu, sa perruque de girl du Crazy, allonge un bras, prend une pose hiératique. Une autre robe, sur un cintre perchée, sèche sous les sunlights.
On a déjà dit ce qu’on pensait des portés. Le chorégraphe-athlète à tête encagoulée n’a pas de mal à soulever la frêle danseuse. Il repose en douceur le corps en porcelaine de sa belle partenaire au terme de chacune de ces figures qu’il a cru bon de s’imposer. Au bout d’un moment, on assiste enfin à un passage intéressant où la jeune danseuse répète à l’envi le même geste et donne l’impression de rebondir sur un trampoline imaginaire. Après quelques gratouillis de guitare sèche, on a droit au solo du jeune gens, la danseuse étant alors hors champ. La variation est ténébreuse… Sur l’air de Don’t Drop Me…, Audrey recoiffe sa perruque, tourne le dos aux spectateurs et sort par le fond, côté cour.
Dernière étape avant création – solo/duo
— Conception et chorégraphie : Christian Ubl, assisté de Pierre Canitrot
— Interprétation : Audrey Aubert, Christian Ubl
— Musique : Audrey Aubert alias NAPE
— Mobile – sculpture : Emile Genoud
— Lumières : Jean-Bastien Nehr
— Costumes : Pierre Canitrot