ART | CRITIQUE

Black and Blue

PEmmanuel Posnic
@07 Avr 2008

Avec Tom Burr, la sculpture prend un nouveau virage. Et une autre allure. Exploitant des formes érodées par le minimalisme des années 60-70, l’américain cisaille le White Cube et habille la matière d’une vitalité sobre et sexy.

Il y a deux faces dans ce Black and Blue. Un cadre élégant, une monture précieuse et retenue. Puis en toile de fond, il y a cette intrigue plus discrète, cette sensation plus souterraine qui se dérobe vers l’obscur et l’inavouable.

Le travail de Tom Burr se situe à la croisée de ces chemins. Ses sculptures qualifient l’espace d’exposition, elles semblent par moment s’y plier en prenant appui, en s’attachant même aux murs et piliers. Cela dit, on ne les voit jamais en retrait de la composition architecturale, au contraire. Elles serpentent depuis le sol, dessinent des obliques et découpent avec vigueur la belle ordonnance des salles.
En bois blanc retenues par des gonds, élégantes et rebelles, masculines et sensuelles. A l’image des «personnages» et des «états» qu’elles représentent.

Car au-delà de leur identité minimaliste, tant il est clair que l’artiste s’en réapproprie ici les codes, les sculptures de l’Américain révèlent leur profonde nature psychologique voire anthropologique.
C’est ici Coco Chanel figurée par son boa négligemment jeté sur le pli d’une sculpture (Blue Period, (Touch Me)). C’est plus loin l’hommage rendu à Chick Austin et Ned Rorem, deux parangons du modernisme américain appliqués à sortir des conventions de leur époque (Blue Construction, (Feel Me)).
Tout comme Gertrude Stein et Kurt Weill, eux aussi convoqués par l’artiste. Les œuvres de Burr prennent des allures de panthéon pour le XXe siècle ou, à tout le moins, de portrait de l’intransigeance artistique aux États-Unis.

Mais la célébration se teinte aussi d’une réalité beaucoup plus tranchante: l’intransigeance flirte avec l’irrésolution, la folie et la fêlure. Une camisole enserre les bras de Blue Construction, un pansement garrotte le montant de Bent, Bandaged, Beat Up Again, and Bewildered. Devant l’entrée, Black Spiral, l’œuvre monumentale dédiée à Tommy, le chanteur des Who, fige l’installation dans une combinaison d’objets en ruine alors qu’au centre du désastre, le vinyle attend, orphelin d’un son qui ne sortira jamais.

Avec Tom Burr, les sculptures ne sont pas faites pour durer. Elles ploient sous la fétichisation et les références à la modernité. Des anti-monuments en quelque sorte, des entailles glacées aux multiples points de rupture. Mais plus que cela, les sous-titres nous le disent, See Me, Feel Me, Touch Me et Heal Me: c’est d’humanité dont elles parlent avant tout.

Tom Burr
— Black Spiral, (See Me), 2008. Bois peint, platine vinyle, coffret Tommy The Who, casque d’écoute. Dimensions variables.
— Blue Construction, (Feel Me), (for Chick Austin, Ned Rorem, Myself, Others), 2008. Bois peint, caoutchouc, feutre, camisole, ouvrages anciens. 390 x 100 x 60 cm.
— Blue Period, (Touch Me), 2008. Bois peint, boa, coupures de magazines (années 70 ’Esquire’). 316 x 110 x 46 cm.
— Bent, Bandaged, Beat Up Again, and Bewildered, (Heal Me), 2008. Bois peint, bandage et chaîne en acier. 164 x 150 x 60 cm.

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