ART | CRITIQUE

Black and Blue

PFrançois Salmeron
@09 Nov 2012

Quatre œuvres tissées main, et une composée à partir de tissu wax, se font écho et finissent par former une seule et unique installation s’articulant autour du bleu et du noir. Si «Black and Blue» apparaît d’abord comme un travail sur la monochromie, c’est surtout le glissement imperceptible d’une couleur vers une autre qui nourrit notre réflexion.

Deux toiles se ressemblant à s’y méprendre se présentent à nous, et ce n’est qu’après un certain temps d’observation que nous réussissons à les différencier clairement: sur notre droite Blue, et face à nous Black. Si le titre de ses deux œuvres se rapporte évidemment à deux couleurs bien distinctes, leur tonalité respective demeure malgré tout assez proche, et leur format est quant à lui tout à fait similaire.
En s’approchant de Blue, on réalise qu’en réalité, le côté droit de la toile est plus foncé que le côté gauche. C’est comme si la surface était balayée par un geste qui fonçait peu à peu la toile, de manière quasi imperceptible. On a donc affaire à un tableau qui s’obscurcit du bleu vers le noir, alors que dans un premier temps, il peut donner l’apparence d’un monochrome.
Willem de Rooij actualise ainsi un principe de continuité entre deux couleurs, qui s’enchevêtrent et donnent l’impression de compénétrer l’une dans l’autre.

De même pour l’œuvre Black où, lorsque nous nous plaçons nez-à-nez face à la toile, nous nous rendons alors compte que nous n’avons pas véritablement affaire à un monochrome. En effet, la technique de tissage qu’emploie Willem de Rooij est fort subtile, et entremêle en fait du bleu avec du noir. Une vision lointaine ou à mi-distance de l’œuvre donne l’impression d’un monochrome, mais en plongeant dans le détail de la composition, il existe déjà une fusion entre le bleu et le noir.
Ainsi, l’artiste néerlandais entrecroise différents fils de polyester synthétique, et permet de faire participer le bleu au noir, sans pour autant altérer la tonalité noire dominante que nous percevons.

L’œuvre de Willem de Rooij s’attèle également à décliner d’autres genres de formats avec Closure qui se déploie sur 4,30 m, ou Blue to Blue dont les motifs nous séduisent. Aussi, nous découvrons étendue sur le sol l’œuvre Blue to Black, sur le bord de laquelle est imprimé «véritable wax imprimé au Ghana». Par là, l’exposition se réfère à l’histoire, et notamment aux anciennes routes coloniales ou marchandes reliant l’Europe au monde.
Ce tissu de coton typique de l’Afrique Noire se trouve à son tour imprimé de bleu et de noir. Cette œuvre offre un nouveau dégradé de couleurs, avec différents tons de bleu, virant peu à peu vers le noir.

L’art tisserand semble ici reprendre les connotations politiques que Platon lui prêtait d’antan: rassembler des entités hétérogènes et les faire évoluer sur un même plan, dans un ensemble qui les transcende. L’enjeu de l’art tisserand est de réussir à faire tenir ensemble des individus, et à créer un collectif qui ne se réduise pas à une simple juxtaposition d’entités hétérogènes. Le collectif comporte «quelque chose de plus» qui fait qu’il ne se réduit pas à une simple collection d’individus.
Et se lier les uns aux autres, c’est se reconnaître en autrui, sans pour autant perdre sa propre spécificité ou sa propre identité. L’art tisserand interroge finalement la possible articulation entre l’individuel et le collectif, entre la similitude et la différence.

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