DESIGN | CRITIQUE

Biennale de design de Saint-Etienne 2008

PAnne Bony
@24 Nov 2008

Biennale internationale de design de Saint-Etienne a 10 ans. Elle invite les utopies, les nouvelles technologies et les entrepreneurs à se poser la question du mieux vivre et convoque l’homme dans sa dimension unique, sociale et comportementale.

« J’ai 10 ans… ». Non, ce n’est pas la chanson d’Alain Souchon mais le cri de maturité de la manifestation attendue de Saint-Etienne « La Biennale du design ». Née en 1998, à l’initiative de Jacques Bonnaval, cette entreprise est, à l’image des engagements du directeur de l’Ecole des beaux arts, un laboratoire de réflexion, un lieu d’échanges et de prospection et une plateforme de création internationale. Depuis 2006, avec Elsa Francès, la Biennale semble avoir acquis de la sagesse, de l’ordre. Elle a pris son indépendance sous les auspices de la « Cité du design » avec pour orientation un ancrage fort dans la région.

Différents acteurs se sont succédés pour mettre en œuvre, au fil du temps, ce rendez-vous biennal : Vincent Lemarchands (1998), Eric Jourdan (2000), Céline Savoye (2002-2004) et, avec eux, les professeurs et les étudiants en design qui ont toujours œuvré à la préparation et au montage, souvent sur leurs heures de cours. En 2008, la biennale propose des utopies d’étudiants, du design industriel et définit des tendances dans l’esprit du salon Maison & Objet. Une trentaine d’expositions, de taille plus ou moins importante, sont présentées dans les espaces réorganisées de la Cité du design et sur le site de la Manufacture d’armes de Saint-Etienne, dans des bâtiments aux noms élémentaires : H, Fabrique 5000, 335. Seule La Platine de Finn Geipel, architecture-interface qui sera inaugurée en 2009, manque à l’appel. Les espaces d’exposition cohabitent avec des bâtiments encore dédiés à l’armée. Ainsi réunis, terrains militaires et champs culturels assurent un croisement dynamique, riche en stimulations.

Les designers sont des créateurs, mais aussi et surtout des philosophes, ils réfléchissent les problématiques de demain. Dans le bâtiment 335, l’espace de 2000 m est dédié aux écoles sur le thème du bonheur, ce bien si rare, qui ne se calcule pas en bien de consommation mais en qualité d’environnement, de scénario. Ici, un Appartement géant devient le terrain d’expérimentation des étudiants et de leurs différents ways of life. Convivialité, isolement, musique, fosse de conversation, cabane en l’air, placard à balai, bibliothèque emmêlée, lit clos, lit de vie… Les propositions soulèvent des questions qui tracassent les designers depuis les années 1960, comme Joe Colombo et Olivier Mourgue, plus récemment Frédéric Ruyant.

L’esprit libre, vous abordez l’espace «N-1», un lieu du passage du design 3D en 2D où vous attend innovation graphique, sonore et numérique. Cet espace labyrinthique qui sollicite le corps de toute part semble être, dans la tradition de Michaux ou de Jackson Pollock, le lieu d’une écriture automatique, sensible et décalée.
Plus loin, avec l’exposition « Efficacité énergétique » Mathieu Lehanneur et des étudiants en design réalisent, avec le soutien d’EDF, une étude de comportement, un calcul des données physiques, des habitudes et des perceptions de consommation de l’énergie domestique. L’énergie devient un rite.

« Dedans, dehors, autour » est une exposition qui traite de l’importance des questionnements autour de l’humain, de l’amélioration de la vie, de la protection et de la réparation des corps. Cette présentation de Marc Partouche et Roxane Andrès met en avant le design du domaine médical et des enjeux économiques et sociaux. Technologies médicales, objets, matériaux et biomatériaux, anthropologie, sociologie, télécommunication, arts, économie, imaginaires collectifs et individuels… Une proposition d’objets exposés hors contexte et qui paraissent ainsi orphelins, le corps étant absent de la démonstration. L’enjeu reste néanmoins fondamental car il avance l’évidente nécessité de l’implication du design, de la recherche, des scientifiques et des industriels dans ce parcours créatif, orienté vers une meilleure condition humaine.

Dans l’exposition « Demain, c’est aujourd’hui », ce sont les nouveaux usages, les nouvelles pratiques du design prospectif qu’interroge Claire Fayolle, commissaire de l’exposition. Dans Design Probes de Philips, le corps est l’écran sensible de nos émotions avec des tatouages qui apparaitront en fonction de nos humeurs. L’équipe perception et design sonores de l’IRCAM et le département design de l’Université des arts de Zurich nous replacent dans une relation active avec l’objet et explorent la dimension sonore d’un point de vue fonctionnel. La question de la production et du commerce légal des cellules souches est évoquée avec le projet « Nanotopia » de Michael Burton. Ces démarches prospectives parfois « limites » doivent susciter des interrogations sur les conséquences sociales, culturelles et éthiques des technologies émergentes. La présentation est un support pour une réflexion critique à poursuivre…

Le corps, cet objet particulier et unique, inspire le groupe 5.5 qui propose «Cloning », une collection déclinée en dix programmes, donnant chacun naissance à un objet selon un critère physique particulier. Au lieu de participer à la définition d’une esthétique consensuelle -— le standard dans l’industrie— ce projet tend à redonner une place centrale à la nature humaine. Mensurations Cloning (vase), Skin Cloning (papier peint, 420 € le premier rouleau), Skeleton Cloning (porte manteau), Weight Cloning… sont réalisés grâce à des techniques de prototypage rapide ou avec des artisans tels des verriers de Murano, la Fondation d’entreprise Bernardaud, les tapis Toulemonde Bochart…

Quelques moments d’une exposition riche qui place le processus du design au centre de notre avenir d’hommes responsables et conscients.

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