Numéro 111, François Brument, Matali Crasset, François Bauchet
Biennale internationale design Saint-Etienne. L’empathie ou l’expérience de l’autre
La huitième édition de la Biennale internationale design Saint-Étienne place la prospective au cœur de sa programmation, explore les grands enjeux de société et témoigne, à travers le design, des innovations qui influenceront les modes de vie de demain.
Le choix du thème de l’empathie est le résultat d’une intuition et d’une réflexion collective. Nombreux sont les philosophes et les sociologues qui estiment urgent de repenser la société sur des bases plus respectueuses de la communauté humaine. Peut-être, dans une période où nous serions en mal d’utopie, à un moment où la société prétend se construire sur un unique principe de réalité, dans un temps où chacun d’entre nous devrions nous en contenter, l’empathie serait-elle porteuse de l’espoir d’une société plus sensible et plus attentive ?
L’empathie propose de regarder et de construire autrement le monde grâce à cette capacité d’appréhender et comprendre les sentiments et les émotions d’un autre. Cette notion est relativement absente des discours et de l’enseignement du design alors même que c’est une dimension centrale du travail et la pensée de cette discipline. Et l’empathie possède une force investigatrice remarquable. Est-ce une compétence? Une attitude? Est-ce un mode pertinent de connaissance? Comment concilier l’empathie et la création? Doit-on s’oublier soi-même pour répondre aux besoins de l’autre? Quelle est alors la place de la création? Cet emboîtement de questions est porteur de débats passionnants au moment précisément où des pratiques se développent sur la façon dont il conviendrait de mettre l’individu et ses usages au centre de l’innovation.
La Biennale ne saurait faire l’économie de s’interroger sur la place du designer dans ce processus. L’empathie est un dialogue entre un créateur et un usager. Comment le designer appréhende-t-il les besoins de chacun et de tous jusqu’à répondre à des
attentes universelles ? Comment le designer peut-il devenir un médiateur dans des systèmes complexes comme ceux des villes ? Comment crée-t-il une empathie avec le visiteur de la Biennale pour permettre à celui-ci de se projeter dans son univers personnel ? Quelle relation le designer entretient-il avec la marque qu’il sert ? Parler d’empathie, c’est aussi parler d’esthétique. Quel que soit le parti pris, l’esthétique est ce par quoi s’engage la compréhension intime de l’autre, que celui-ci soit celui qui visite les expositions ou celui qui crée.
Nous verrons comment le design numérique investit l’environnement quotidien avec l’objectif de créer des relations de plus en plus étroites entre les hommes et jusqu’où il est souhaitable d’engager une liaison empathique avec les machines. Ce nouveau rapport à l’artefact nous rapproche ainsi peu à peu de la relation que nous entretenons avec le vivant, que nous interrogerons à travers certaines expositions.
La capacité d’empathie est un mode de connaissance qui tisse des liens profonds avec la création. Le designer ressent et perçoit : sa pratique n’est pas uniquement cérébrale, tous ses sens sont mobilisés. C’est l’une des richesses du design : produire des modes de connaissance singuliers qui disent autrement et autre chose du monde
Texte d’Elsa Francès, Directrice de la Biennale internationale design Saint-Étienne