Telle un papillon de nuit se brûlant les ailes au contact d’une ampoule, Bianca Sforni a tournoyé durant de nombreuses années autour des clubs de strip-tease et de ses lumières, munie d’un appareil photo. Les néons, les paillettes, les explosions de couleurs électriques, une débauche de bleus, de roses, de verts, sont à l’origine de son attraction irrésistible pour ces lieux évoquant rarement la poésie.
D’abord attirée par les bâtiments eux-mêmes, qu’elle a immortalisés aussi bien en couleurs qu’en noir et blanc, la photographe est rapidement tombée sous le charme des créatures qui en sont l’attraction. La tendresse, le respect et l’admiration qu’elles ont éveillés se lisent au fil des images.
Un boa en plumes oublié sur une table, une figurine sur un zinc, un visage, un corps représentent autant d’instants qui semblent gelés dans la mémoire. On est loin ici de la brutalité de Gary Lee Boas. L’hypersaturation des couleurs efface, étouffe les détails qui pourraient rattacher ces microcosmes à la réalité ; le noir et blanc enveloppe les corps dans une brume de nostalgie.
A aucun moment Bianca Sforni n’a tenté de faire du documentaire ou de s’attarder sur les aspects sordides de cet univers où les danses acrobatiques et l’image des corps sont des biens de consommation parmi tant d’autres, où les valeurs ne sont plus qu’un lointain souvenir, où converge la misère d’une population en mal de spectacle ou d’affection.
Aux antipodes des photographies poétiques de Bianca Sforni, les peintures de Lyzane Potvin coupent court aux rêveries du spectateur. La jeune artiste se met en scène dans des décors sordides régulièrement affublée d’une tête de truie, dévorant des organes non-identifiés, se mutilant, se masturbant et glorifiant des objets tranchants divers et variés. Le corps de l’artiste, martyrisé, scarifié, parfois amputé d’un membre ou deux, distille une atmosphère désagréable relevée par un fumet de religiosité émanant des inscriptions comme «Ne nous soumets pas à la tentation et délivre-nous du mal».
Difficile de percevoir une influence artistique quelconque au sein du travail de Lyzane Potvin, même si l’on pourrait envisager ses peintures comme une transcription picturale des glorifications mystico-existentielles et sanguinolentes de Hermann Nitsch et plus largement une résurrection accidentelle de l’art corporel encouragée par le souvenir du corps martyrisé : mordu par Vito Acconci, coupé au rasoir par Gina Pane ou blessé par balles par Chris Burden.
Mais il serait plus juste d’en dégager des influences cinématographiques ou littéraires. L’esthétique trash et ses décors insalubres, les objets tranchants, les mutilations diverses et le corps en mutation semblent empruntés à Floria Sigismondi, photographe et réalisatrice qui a notamment contribué à installer l’univers du chanteur Marilyn Manson.
La tête de truie et la scie, accessoires récurrents, ne sont pas sans rappeler Saw, le macabre long-métrage de James Wan sorti en 2004 et déjà considéré comme culte.
Quant à l’exaltation d’une sexualité violente et morbide qui soulève immanquablement un haut-le-cœur, elle semble issue d’un roman du pornographe Charles Böserbach. Le tout dégage un parfum de rébellion adolescente et de provocation gratuite. Mais curieusement, les œuvres de Lyzane Potvin et celles de Bianca Sforni se complètent grâce à une combinaison improbable.