ART | CRITIQUE

Bethan Huws

PLaurent Perbos
@03 Juin 2008

Bethan Huws présente une série d’oeuvres, aquarelles, sculptures, vidéos et ready-made qui témoignent d’une réflexion permanente sur l’héritage de Marcel Duchamp. Son travail  interroge le fossé qui sépare l’art des activités communes. Un  lieu, un souvenir, une situation, peuvent concourir à transformer une idée en oeuvre d’art.

On a, dès l’entrée dans la grande verrière de la Galerie Yvon Lambert, une approche  sobre et claire des productions de Bethan Huws.
Sur le mur de gauche, une succession d’aquarelles et de dessins se détachent sur le fond d’un papier blanc  laissé en réserve. Les figures semblent flotter à la surface du support et font directement référence à d’autres artistes disparus.
Marcel Duchamp y trouve son Porte-bouteilles couvert de pousses végétales, Man Ray, son fer à repasser avec des clous, Gift, qu’elle souligne d’une phrase «Ceci  n’est pas un cadeau», un homme primitif se voit affublé du titre My Father, et des girafes portent des commentaires étranges et surréalistes.

La citation d’oeuvres détournées ou les jeux de langage décalé et humoristique introduisent alors une poésie inattendue. Bethan Huws  cherche à nous faire prendre conscience du regard que nous portons sur le monde. Pour elle, nous construisons nous-mêmes la réalité telle que nous la connaissons, et ce, à l’aide du langage.
Notre imaginaire et notre manière de dénommer les choses les inscrivent dans un champ lexical particulier.  Ils leur donnent une existence propre et tout à fait singulière. Comme elle le dit  elle-même, «une œuvre d’art n’est faite que d’une chose — une personne». Par conséquent, chacune de ses créations est enfermée dans une forme unique et n’est finalisée que par le regard du spectateur.
«Une oeuvre d’art doit être significative», déclare-t-elle en lettres multicolores sur le mur d’en face. Mais quel sens peut-on apporter à tous les objets présentés sur les deux tables en bois qui trônent dans la salle?

Avec l’impression de visiter un cabinet de curiosités nous avançons vers l’une d’elles. Nous faisons l’inventaire de tout ce qui est exposé. Plusieurs niveaux de lecture se dégagent de l’ensemble. On peut y voir une somme d’objets énigmatiques et sans lien avec le reste de l’exposition. Ou bien on peut faire appel à nos connaissances artistiques et émettre d’autres interprétations.
Le paquet de dentifrice Sensodyne, Apolinere est une fois encore une référence directe au ready-made rectifié de Duchamp Apolinere Enameled.
A l’époque, l’artiste avait détourné une affiche publicitaire pour de la peinture et Bethan Huws fait de même avec cet emballage. Cette simple boîte, produit manufacturé que l’on trouve dans le commerce, est élevé au rang d’oeuvre d’art par simple décision artistique et par son inscription dans un contexte institutionnel. Mais elle porte aussi une histoire et fait écho à un discours qui a ouvert les portes à l’art moderne au début du XXe siècle.

Le porte-bouteilles, coquillage de Thaïlande hérissée de piquants,  constitue une déclinaison intéressante de la démarche de Duchamp. Bethan Huws a choisi un élément unique et non plus un article industriel. Elle l’impose tout de même comme un ready-made modifié puisqu’elle le redresse alors qu’il évolue normalement à l’horizontale dans son milieu naturel.

La double référence au Porte-bouteilles et à l’urinoir Fontaine basculé à 90° est évidente. L’artiste perpétue une rupture dans la production artistique d’une époque et la remet au goût du jour en lui redonnant une nouvelle existence.
Tout à côté le métronome, Vision, pourrait être vu comme un accessoire musical. Cependant, il est à penser plus directement comme une allusion à Man Ray et comme un trait d’humour pour son Indestructible Object (or Object to Be Destroyed), ici amputé de l’oeil dont il était affublé.

Chaque production de Bethan Huws semble faire résonner un questionnement sur le statut des objets, leur légitimité en tant qu’oeuvre et  la crédibilité de la personne qui les propose au regard du spectateur. Sous le couvert de ses pairs, elle tourne en dérision pour mieux l’exalter un discours artistique pétrifié depuis plusieurs années dans des formes qui ont peine à se renouveler. Sans utiliser d’artifices  spectaculaires, elle met l’accent  sur ce qui fonde aujourd’hui une recherche théorique et plastique qui s’appauvrit parfois et se délite dans des intentions dénuées de contenus.

Bethan Huws
— Perchoir, 2008. Bois. 34 x 34 x 155 cm
— Max Ernst, 2008. Porte-bouteilles. 75 x 75 x 150 cm
— Andreas Slominski, 2003. Vynil. Dimensions variables.
— Le grand verre, 2008. Porte-bouteilles en verre + 20 bouteilles en verre. 90 x 90 x 80 cm
— Vision. Sérigraphie et métronome. 11 x 11 x 23 cm
— Ricard Hamilton, 2008. Ready made. Dimensions variables.
— Apolinere, 2008. Sérigraphie et paquet de dentifrice. 75 x 75 x 150 cm
— Onion on a swing, 2008. Oignon sur structure en bois. 45 x 30 x 44,5 cm
— Sculpture, 2008. Livre dans boite en plexiglas. 36 x 33 x 6 cm
— Le porte bouteilles, 2008. Coquillage sur socle. 9 x 10 x 21 cm
— Three walnuts, 2006. Noix. 20 x 14 x 14 cm
— Mussels on a beach, 2008. Brindilles de hêtre, moules bleues, fil de nylon sur base de hêtre. 75 x 69 x 61 cm
— Sablier, 2008. Sablier dans structure en bois. 28 x 28 x 68 cm
— Puzzle, 2008. Inox. 45 x 35 cm
— The chocolate bar, 2005-06. Film 35 mm, noir et blanc et couleur, son. 4 min 30 sec

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